22 février 2016
Vieillissement, cancer... La Rapamycine, une molécule miracle venue de l'île de Pâques ? L'OBS.fr | Publié le 22 février 2016 | 11h49 Par Véronique Radier Une substance découverte dans des poussières de l’île de Pâques est efficace contre plusieurs cancers, le rejet des greffes et… le vieillissement. De grands labos sont sur la piste. Retour sur la folle histoire de la Rapamycine. C’est une histoire qui ressemble à un épisode de "La Quatrième dimension" ("The Twillight Zone"), ce feuilleton culte des années 1980. "Ting ting ting ting…" Son générique électrisant propulsait le téléspectateur dans l’univers inquiétant des télépathes ou au cœur des brumes fantomatiques du triangle des Bermudes. La folle saga de la Rapamycine, une mystérieuse substance aux incroyables propriétés anticancer et antivieillissement qui, un temps, sauva la vie du chercheur l’ayant découverte n’aurait pas déparé parmi les meilleurs opus de la série. Tout commence en 1964. Des chercheurs canadiens débarquent sur l’île de Pâques, cet énigmatique confetti de roches battu par les vents au milieu du Pacifique. Avec ses alignements de milliers de têtes géantes en basalte noir, les moais, elle semble appartenir à un autre monde. Ces statues monumentales ont été érigées voici des siècles par une civilisation disparue qui, abattant pour les construire tous les arbres de l’île, aurait condamné Rapa Nui - c’est son nom en langue autochtone - à une sécheresse inhospitalière. Nos scientifiques parcourent l’île, à l’affût de végétaux ou de minéraux. Ces chercheurs canadiens ont ainsi découvert la "Rapamycine", une molécule produite naturellement par la bactérie Streptomyces hygroscopicus et découverte sur cette île du Pacifique Sud en 1975. La Rapamycine ou "Sirolimus" est utilisée depuis 1999 comme médicament immunosuppresseur contre le rejet de greffe d'organe - avec notamment le "Rapamune" de Pfizer. Les propriétés de cette molécule apparaissent aujourd'hui aussi mystérieuses que les "Moaïs" de basalte de Rapa Nui (photo ci-contre), entre immunosuppression aux effets anticancéreux paradoxaux, allongement de la durée de vie et traitement potentiel pour la maladie d'Alzheimer. Comme nous allons le voir, de récents travaux mettent également en lumière sa capacité à augmenter la mémoire et la cognition. Alors que l'immunosuppression médicamenteuse implique, classiquement, un risque de cancer souvent 10 à 100 fois plus élevé pour le sujet humain, la Rapamycine semble avoir l'effet inverse, en diminuant la fréquence des formations de nouvelles tumeurs (2) ainsi qu'en stimulant certains types de leucocytes, les cellules T CD8 (ou lymphocytes T cytotoxiques CD8), qui détruisent par exemple les cellules infectées par des virus, les cellules cancéreuses et les bactéries. Ses activités carcinogènes semblent ainsi largement contrebalancées par son action anticancéreuse. Elle est aussi sujette à d'autres controverses : un risque infectieux hypothétiquement plus important, le développement parfois rapporté de fibrose pulmonaire idiopathique et surtout, la possibilité de symptômes diabétiques (hypercholestérolémie). De manière assez concrète, par exemple dans le cadre d'un mode de vie et d'une alimentation saine, le principal effet secondaire (peu commun et non dose-dépendant) à prendre en compte est l'éventualité de la fibrose pulmonaire, qui peut être prévenue par le suivi du patient (et l'arrêt du traitement -quand possible- si faiblesse pulmonaire ou dès les premiers soupçons de symptômes). Parmi ses applications bénéfiques dans le cadre de traitements futurs (8) - au-delà du cas spécifique du cancer, on peut mettre en évidence : l'inhibition de la réplication du VIH via entre autres la down-regulation du corécepteur CCR5 et l'induction de l'autophagie, l'appoint aux traitements palliatifs de la polykystose rénale type dominant (PKD ou "ADPKD") ainsi que de la sclérose tubéreuse de Bourneville. Mieux encore, on sait depuis 2006 que la Rapamycine est capable d'allonger la durée de vie des eucaryotes (9 - article complet), ce qui comprend l'être humain. Chez la souris, une augmentation de l'espérance de vie totale observée est comprise entre respectivement 9 et 14% pour les mâles et femelles, avec également des taux de survie plus importants (et moins de maladies liées à l'âge) que le groupe contrôle (ne bénéficiant pas de la Rapamycine dans leur alimentation) (10, 11). C'est en ce sens que le Sirolimus fait l'objet de recherches dans le cadre de la thérapeutique palliative de la progéria. Concernant le cerveau, la Rapamycine présente là encore des propriétés très encourageantes, avec notamment, de manière comportementale et observée chez la souris, des effets d'augmentation de la mémoire, des capacités d'apprentissage et de réduction des lésions dans le cas de la maladie d'Alzheimer , et avec des bénéfices similaires dans les cas de l'autisme, de l'épilepsie et du handicap mental inné (modèle souris Tsc2+/−) . Vendredi dernier, le docteur Veronica Galvan et son équipe - les auteurs de l'étude de 2010 publiée dans PLoS ONE , bénéficient d'un communiqué du UT Health Science Center at San Antonio (Etats-Unis), rapportant les progrès de leurs recherches sur les effets de la Rapamycine. Les résultats sont sans équivoque : augmentation des niveaux des neurotransmetteurs sérotonine, dopamine et norépinéphrine. Entre autres observations comportementales : diminution de l'anxiété et de la dépression, amélioration de l'humeur, augmentation de la mémoire et de l'apprentissage tout au long de la vie et "inversion" du déclin cognitif lié à l'âge. Des effets valables chez la souris saine, jeune, adulte comme âgée, ce qui permet de définir la Rapamycine comme un candidat intéressant au statut de "nootrope". Par ailleurs, étant donné que la pharmacocinétique et les effets secondaires du Rapamune (sur l'Homme) sont connus et étudiés depuis 1999, une application "off-label" de prescription de la Rapamycine par des médecins aurait déjà cours aujourd'hui en regard de la prévention et du "traitement" de la maladie d'Alzheimer. De prochaines études spécifiquement liées aux capacités "nootropiques" du médicament, sur l'être humain, devront déterminer le degré d'intérêt pour l'augmentation cognitive et les thérapies anti-sénescences (comme la maladie d'Alzheimer).
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