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Cela faisait longtemps que je voulais écrire cette histoire de rencontre d'un homme et d'une femme. L'une de celles qui ravivent le goût de l'impossible. L'une de celles qui traînent leur cortège de surprises, de paradoxes, d'érotisme et de déraison. Dans cette ville où, comme dans d'autres villes, une certaine idée de l'amour a été façonnée par les livres, les chansons et le cinéma. Mais où les données du malheur universel sont immédiates ou vous rattrapent juste un peu plus vite qu'ailleurs.
Y. L.
Guillaume et Nathalie, Yanick Lahens
YANICK LAHENS vit en Haïti. Dans ses romans, comme dans ses nouvelles et ses essais, notamment Failles (Sabine Wespieser éditeur, 2010), elle brosse avec lucidité et sans complaisance la réalité de son île. Lauréate du prix RFO 2009 pour La Couleur de l'aube, elle occupe sur la scène littéraire haïtienne une position très singulière par son indépendance d'esprit et sa liberté de ton.
« À ceux qui se demandent ce que pèse la littérature face aux désastres, il faut recommander la lecture du nouveau roman de Yanick Lahens. Une merveille ! Yanick Lahens fait partie de ces artistes qui décidèrent de ne pas quitter Port-au-Prince au lendemain du terrible séisme qui ébranla Haïti le 12 janvier 2010. Elle fait partie, surtout, de ces très rares écrivains qui refusent de réduire ce pays au malheur. Casser les clichés, tel est le rôle de la fiction. À ce séisme que le monde entier contempla, impuissant, Yanick Lahens oppose un autre séisme, intérieur : celui qui saisit un homme et une femme lorsqu'ils sont catapultés l'un vers l'autre, irrésistiblement, irrémédiablement.
Guillaume et Nathalie travaillent côte à côte, ne se ressemblent pas, n'ont pas le même âge, ne partagent aucune illusion et savent parfaitement, dès les premiers instants, qu'ils auront une histoire ensemble. Quand ? Laquelle ? Tout est là, dans le face-à-face entre un homme qui désire et une femme au bord de l'enchantement. L'écriture de Yanick Lahens, poétique et sensuelle, invite le lecteur à braquer sa propre caméra sur les corps des amants. Ici, le plaisir est suggéré, avec une infinie douceur. Pas de scène d'érotisme torride dans les chambres, pas de misérabilisme primaire dans les rues. Mais la grâce d'une prose où chaque phrase contribue à créer l'atmosphère protectrice d'un monde à part, où la violence n'a plus sa place, où les caresses et les
baisers se prennent pour des gilets pare-balles.
Nous sommes à Port-au-Prince, qui a une kalachnikov dans une main, un 9-millimètres dans l'autre, la ville vaudoue par excellence, ensorcelée par le pire des fléaux : l'habitude. Guillaume le sait, qui ne se berce d'aucun espoir. Il appartient à cette classe moyenne dont l'auteur dit la lente paupérisation. Quant à Nathalie, elle sait qu'ici les femmes sont des biens, mis à la disposition de tous. Leur rencontre fait partie de ces miracles qui ne se produisent qu'à condition de prendre des risques.
Au cœur d'un monde où la haine prédomine, ces deux-là prennent le risque de s'aimer à corps perdu. Contre l'esprit de résignation, contre le pessimisme ambiant, contre l'idée d'une fatalité qui ouvre la porte au désespoir, Yanick Lahens apporte la preuve que l'on peut métamorphoser la douleur en créativité lumineuse. Le poète René Char appelait cela la santé du malheur. »
La revue de presse : Muriel Steinmetz - L'Humanité du 20 juin 2013
Yanick Lahens a repris le fil d'un roman interrompu en janvier 2010 par le séisme qui a frappé l'île d'Haïti...On est touché d'emblée à l'évocation de ce couple qui, soudain, respire plus vite, dans lequel les partenaires s'imprègnent l'un de l'autre et dont on pense qu'ils se disent : « Aimons-nous vite, avant le désastre ! »...
D'une grande liberté d'allure, l'écriture de Yanick Lahens rend ainsi compte d'une ville et d'un de ses faubourgs, Léogâne, où les deux protagonistes se rendent pour des visites de terrain. L'énergie délirante de l'île épouse l'âme des personnages et imprègne tout du long ce roman chaleureux et vivant.
La revue de presse : François Busnel - L'Express, mai 2013
A ceux qui se demandent ce que pèse la littérature face aux désastres, il faut recommander la lecture du nouveau roman de Yanick Lahens. Une merveille !
Yanick Lahens fait partie de ces artistes qui décidèrent de ne pas quitter Port-au-Prince au lendemain du terrible séisme qui ébranla Haïti le 12 janvier 2010. Elle fait partie, surtout, de ces très rares écrivains qui refusent de réduire ce pays au malheur...
Contre l'esprit de résignation, contre le pessimisme ambiant, contre l'idée d'une fatalité qui ouvre la porte au désespoir, Yanick Lahens apporte la preuve que l'on peut métamorphoser la douleur en créativité lumineuse. Le poète René Char appelait cela "la santé du malheur".
La revue de presse : Christine Rousseau - Le Monde du 25 avril 2013
L'Haïtienne Yanick Lahens oppose, à la violence du séisme, les frémissements du désir... Réunis autour du projet de construction d'un centre, dès les premiers instants de leur rencontre, Guillaume et Nathalie, malgré leurs préventions et leur agacement, premiers signes avant-coureurs d'une affinité trop vive, sont attirés l'un par l'autre. Dès lors, se faisant sismographe sensuelle de cette passion à naître, Yanick Lahens traque le moindre geste, le moindre regard qui s'échange dans le manège de ces deux corps frémissants, qui s'attirent et se repoussent pour mieux attiser, dans un silence éloquent, un désir fiévreux et impérieux.
Celui-là même qui embrase les lignes de ce roman à la beauté sombre et âpre, dans lequel la romancière dessine sans complaisance - mais non sans tendresse - le portrait de son pays. Et, au-delà, celui d'une société rongée par la violence, la misère, la corruption, marquée aussi par la paupérisation de la classe moyenne dont sont issus ses héros, victimes des préjugés raciaux. Une société parcourue de " failles " auxquelles Yanick Lahens oppose les beautés de cet amour naissant.
Sabine Wespieser Eds, avril 2013, 180 pages, 17,10€
http://www4.fnac.com/Yanick-Lahens/ia277630
Haiti: Fin d'une Histoire Économique, Fritz Jean
Ce documentaire est une synthèse du prochain livre de Fritz Jean ancien gouverneur de la BRH et actuel président du Conseil d'administration de la Chambre de commerce ,d'industrie et des professions du Nord-Est. Ce livre: "Haïti: Fin d'une histoire économique", sera publié par "Les Editions de l'Université d' Haïti". Cette présentation identifie les facteurs sous-jacents à la fin de l'ère économique actuelle, qui repose sur la transformation des structures de production et d'où vont émerger de nouveaux rapports de production.
La fin de cette ère sera caractérisée par l'épuisement d'une forme d'accumulation de la richesse étrangère que l'auteur qualifie de'' loyer''. Cette forme d'accumulation a été à la base et continue d'être le cadre de l'histoire économique d'Haïti depuis 209 ans. Ce mode d'accumulation qui trouve son expression dans les réseaux sociaux d'accumulation (SNA) a échoué parce qu'il ne peut plus répondre aux besoins d'une population en croissance exponentielle...
Ce documentaire est une synthèse du prochain livre de Fritz Jean ancien gouverneur de la BRH et actuel président du Conseil d'administration de la Chambre de commerce ,d'industrie et des professions du Nord-Est. Ce livre: "Haïti: Fin d'une histoire économique", sera publié par "Les Editions de l'Université d' Haïti". Cette présentation identifie les facteurs sous-jacents à la fin de l'ère économique actuelle, qui repose sur la transformation des structures de production et d'où vont émerger de nouveaux rapports de production.
La fin de cette ère sera caractérisée par l'épuisement d'une forme d'accumulation de la richesse étrangère que l'auteur qualifie de'' loyer''. Cette forme d'accumulation a été à la base et continue d'être le cadre de l'histoire économique d'Haïti depuis 209 ans. Ce mode d'accumulation qui trouve son expression dans les réseaux sociaux d'accumulation (SNA) a échoué parce qu'il ne peut plus répondre aux besoins d'une population en croissance exponentielle...
Morne Câpresse, Gisèle Pineau
Je viens tout juste de terminer la lecture de ce bouquin que m'a offert mon amie soeur de la Martinique, en visite au US. Je m'empresse d'en partager le contenu avec vous.
Le roman met en scène Line, une jeune femme Guadeloupéenne, à la recherche de sa petite sœur Mylène disparue, perdue dans la drogue et sans doute la prostitution. Elle se serait réfugiée dans la Congrégation des Filles de Cham, communauté de femmes, créée et dirigée par une certaine Mère Pacôme sur le Morne Câpresse. Line s’y rend à son tour, suivant un itinéraire quasi initiatique. Parallèlement à une montée difficile sur le morne, elle doit se débarrasser des oripeaux du monde d’en bas : remiser la société de consommation qu’elle affectionne tant, son indifférence aux plus démunis de son île, sa dépendance affective et sexuelle pour un homme marié. Le détachement ne sera complet qu’au terme des trois jours qu’elle passe dans cette communauté qu’elle prend en premier lieu pour une secte.
Une fois encore dans ce roman de Gisèle Pineau des destins féminins se croisent, recélant le plus souvent une violence profonde : alcooliques, droguées et toujours trompées, forcées ou abusées par les hommes, jeunes ou vieilles, ces femmes cherchent et trouvent, dans un premier temps, dans ce lieu où la nature est idyllique et dans cette structure communautaire, un refuge leur permettant de se reconstruire socialement et quelquefois amoureusement. Une fois encore ces destins individuels s’articulent au destin collectif de leur société. Pacôme la prêtresse du Morne Câpresse est un personnage complexe ; après la perte de l’homme aimé durant les événements de 1967 en Guadeloupe, elle a choisi l’exil en France et s’est trouvée confrontée à la grande solitude qui l’accompagne. c’est une femme marquée par la défaillance violente des hommes : un fiancé mort jeune et un père inconnu, coureur invétéré,qu’elle ne connaîtra qu’à l’âge de quarante ans et à qui elle ne pardonnera jamais. C’est alors qu’elle est au plus loin et au plus bas- guichetière dans le métro parisien- qu’elle reçoit la révélation de sa mission : sauver le monde, à travers les femmes et à partir de son île microcosme, la Guadeloupe. Personnage fantasque, probablement psychotique (mais sa folie n’est-elle pas une protection contre la folie du monde ?) elle transmet néanmoins à son troupeau de brebis égarées une connaissance et une conscience de leur histoire et partant une forme d’espoir. Ainsi, comme cela se produit fréquemment pour les personnages de G.Pineau, la réconciliation de ces femmes perdues avec leur histoire personnelle passe par l’histoire collective.
On peut lire dans ce roman une illustration de la complexité de la réalité antillaise contemporaine, tiraillée entre deux aspirations antinomiques dont Mylène et sa cadette Line sont représentatives. La première, piégée par le miroir aux alouettes de la modernité est coupée de son histoire, du pays réel et de son lot de misère et de violence. La seconde, figée dans sa prise en compte de l’histoire est à la recherche d’une authenticité, elle aussi illusoire. Les deux attitudes conduisent au mal-être celui des Antilles mais aussi de toute société en mal de repères et qui n’a pas encore achevé son itinéraire identitaire. La révolte de Mylène contre le monde tel qu’il est la mène à la drogue et à la désescalade. Le manque de recul et de discernement de Line vis-à-vis d’elle-même ont, sans doute, leur origine dans sa méconnaissance de la communauté à laquelle elle appartient. A ce titre, son séjour de trois jours dans la Congrégation a servi de révélateur. Elle est transformée quand elle retourne vers le monde qu’elle a brièvement quitté. De plus, elle ne revient pas seule, elle n’a pas retrouvé sa sœur, mais elle est accompagnée de Neel une cousine, opportunément retrouvée dans la communauté et que son père avait refusé de recueillir auparavant voyant en elle une menace pour son confort familial. Comment interpréter ce recours à une sœur de substitution pour le retour dans le monde réel ? Est-ce pour signaler l’impossibilité de la coexistence des deux aspirations de la société mentionnées précédemment ? Est-ce pour souligner le leurre dans lequel se maintient l’héroïne malgré ce que lui a révélé le séjour sur le morne ?
Vivante ou morte, le roman nous laisse dans l’ignorance du sort réservé à Mylène. Si on ajoute à cela l’effondrement de la congrégation on voit bien que le message de G. Pineau n’est pas empreint d’un enthousiasme lénifiant. Dans Morne Câpresse l’essai d’établir le paradis a échoué. Evidemment, c’est le stéréotype du paradis terrestre (et tropical) qui est ici définitivement invalidé. Outre son interrogation sur les mécanismes qui conduisent ces femmes à croire naïvement en un monde idéal, le roman tend à montrer que le paradis du Morne Câpresse est une réponse en trompe-l’œil. Ce que signale clairement l’ironie avec laquelle sont décrits les rites qui s’y pratiquent et rapportés les différents discours qui s’y tiennent. Ces derniers résonnent souvent de manière artificielle justifiant les modes de vie de la Congrégation, par exemple les choix d’un régime alimentaire sans sucre, par une application souvent simpliste de slogans anticolonialistes. L’échec de cette utopie est total ; au moment où redescendre dans le monde réel se révèle inévitable, beaucoup des femmes sont paniquées parce qu’elles savent qu’elles vont y retrouver leurs démons, qu’ils les attendent.
Si j'ai tant aimé Morne Câpresse, c'est que Gisèle Pineau se sert de ces vies brisées pour brosser le portrait d'une Guadeloupe moins idyllique qu'il n'y paraît. C'est là tout l'intérêt de ses romans : plus que des histoires de femmes, ce sont de vraies questions de société qui sont à chaque fois abordées.
Gallimard, Folio, janvier 2010, 324 pages - 7€79
http://livre.fnac.com/a2771284/Gisele-Pineau-Morne-Capresse
Je viens tout juste de terminer la lecture de ce bouquin que m'a offert mon amie soeur de la Martinique, en visite au US. Je m'empresse d'en partager le contenu avec vous.
Le roman met en scène Line, une jeune femme Guadeloupéenne, à la recherche de sa petite sœur Mylène disparue, perdue dans la drogue et sans doute la prostitution. Elle se serait réfugiée dans la Congrégation des Filles de Cham, communauté de femmes, créée et dirigée par une certaine Mère Pacôme sur le Morne Câpresse. Line s’y rend à son tour, suivant un itinéraire quasi initiatique. Parallèlement à une montée difficile sur le morne, elle doit se débarrasser des oripeaux du monde d’en bas : remiser la société de consommation qu’elle affectionne tant, son indifférence aux plus démunis de son île, sa dépendance affective et sexuelle pour un homme marié. Le détachement ne sera complet qu’au terme des trois jours qu’elle passe dans cette communauté qu’elle prend en premier lieu pour une secte.
Une fois encore dans ce roman de Gisèle Pineau des destins féminins se croisent, recélant le plus souvent une violence profonde : alcooliques, droguées et toujours trompées, forcées ou abusées par les hommes, jeunes ou vieilles, ces femmes cherchent et trouvent, dans un premier temps, dans ce lieu où la nature est idyllique et dans cette structure communautaire, un refuge leur permettant de se reconstruire socialement et quelquefois amoureusement. Une fois encore ces destins individuels s’articulent au destin collectif de leur société. Pacôme la prêtresse du Morne Câpresse est un personnage complexe ; après la perte de l’homme aimé durant les événements de 1967 en Guadeloupe, elle a choisi l’exil en France et s’est trouvée confrontée à la grande solitude qui l’accompagne. c’est une femme marquée par la défaillance violente des hommes : un fiancé mort jeune et un père inconnu, coureur invétéré,qu’elle ne connaîtra qu’à l’âge de quarante ans et à qui elle ne pardonnera jamais. C’est alors qu’elle est au plus loin et au plus bas- guichetière dans le métro parisien- qu’elle reçoit la révélation de sa mission : sauver le monde, à travers les femmes et à partir de son île microcosme, la Guadeloupe. Personnage fantasque, probablement psychotique (mais sa folie n’est-elle pas une protection contre la folie du monde ?) elle transmet néanmoins à son troupeau de brebis égarées une connaissance et une conscience de leur histoire et partant une forme d’espoir. Ainsi, comme cela se produit fréquemment pour les personnages de G.Pineau, la réconciliation de ces femmes perdues avec leur histoire personnelle passe par l’histoire collective.
On peut lire dans ce roman une illustration de la complexité de la réalité antillaise contemporaine, tiraillée entre deux aspirations antinomiques dont Mylène et sa cadette Line sont représentatives. La première, piégée par le miroir aux alouettes de la modernité est coupée de son histoire, du pays réel et de son lot de misère et de violence. La seconde, figée dans sa prise en compte de l’histoire est à la recherche d’une authenticité, elle aussi illusoire. Les deux attitudes conduisent au mal-être celui des Antilles mais aussi de toute société en mal de repères et qui n’a pas encore achevé son itinéraire identitaire. La révolte de Mylène contre le monde tel qu’il est la mène à la drogue et à la désescalade. Le manque de recul et de discernement de Line vis-à-vis d’elle-même ont, sans doute, leur origine dans sa méconnaissance de la communauté à laquelle elle appartient. A ce titre, son séjour de trois jours dans la Congrégation a servi de révélateur. Elle est transformée quand elle retourne vers le monde qu’elle a brièvement quitté. De plus, elle ne revient pas seule, elle n’a pas retrouvé sa sœur, mais elle est accompagnée de Neel une cousine, opportunément retrouvée dans la communauté et que son père avait refusé de recueillir auparavant voyant en elle une menace pour son confort familial. Comment interpréter ce recours à une sœur de substitution pour le retour dans le monde réel ? Est-ce pour signaler l’impossibilité de la coexistence des deux aspirations de la société mentionnées précédemment ? Est-ce pour souligner le leurre dans lequel se maintient l’héroïne malgré ce que lui a révélé le séjour sur le morne ?
Vivante ou morte, le roman nous laisse dans l’ignorance du sort réservé à Mylène. Si on ajoute à cela l’effondrement de la congrégation on voit bien que le message de G. Pineau n’est pas empreint d’un enthousiasme lénifiant. Dans Morne Câpresse l’essai d’établir le paradis a échoué. Evidemment, c’est le stéréotype du paradis terrestre (et tropical) qui est ici définitivement invalidé. Outre son interrogation sur les mécanismes qui conduisent ces femmes à croire naïvement en un monde idéal, le roman tend à montrer que le paradis du Morne Câpresse est une réponse en trompe-l’œil. Ce que signale clairement l’ironie avec laquelle sont décrits les rites qui s’y pratiquent et rapportés les différents discours qui s’y tiennent. Ces derniers résonnent souvent de manière artificielle justifiant les modes de vie de la Congrégation, par exemple les choix d’un régime alimentaire sans sucre, par une application souvent simpliste de slogans anticolonialistes. L’échec de cette utopie est total ; au moment où redescendre dans le monde réel se révèle inévitable, beaucoup des femmes sont paniquées parce qu’elles savent qu’elles vont y retrouver leurs démons, qu’ils les attendent.
Si j'ai tant aimé Morne Câpresse, c'est que Gisèle Pineau se sert de ces vies brisées pour brosser le portrait d'une Guadeloupe moins idyllique qu'il n'y paraît. C'est là tout l'intérêt de ses romans : plus que des histoires de femmes, ce sont de vraies questions de société qui sont à chaque fois abordées.
Gallimard, Folio, janvier 2010, 324 pages - 7€79
http://livre.fnac.com/a2771284/Gisele-Pineau-Morne-Capresse
Victoire, les saveurs et les mots, Maryse Condé
J’ai profité de mes dernières vacances en Martinique pour lire ce livre de Maryse Condé dont la grand-mère était Marie-Galantaise… c’est elle, la «Victoire» du titre, née environ vers 1870, et c’est l’histoire de sa vie que Maryse Condé tente de reconstituer.
En une exergue, Maryse Condé donne le ton de cet ouvrage. « Il devient indifférent que je me souvienne ou que j’invente, que j'emprunte ou que j’imagine ». Cette phrase empruntée à Bernard Pingaud, écrivain français illustre magnifiquement le récit, mélange d’enquête, d’imagination et de reconstitution sociale dans lequel l’auteure entraîne son lecteur subjugué.
Sous la plume tendre de Maryse Condé, Victoire prend vie et âme. Un lien filial, presque charnel, se dessine et unit comme un pont jeté au-dessus des siècles, la petite-fille écrivain à la grand-mère cuisinière qu’elle n’a jamais connue. Celle-ci, née dans les années 1870 à Marie-Galante, îlot plat de l’archipel des Caraïbes, était le fruit d’une brève rencontre entre un soldat blanc de passage et l’une des filles de la famille Quidal, des « nouveaux citoyens », comme on appelait encore les descendants des esclaves, une vingtaine d’années après l’abolition. Servante analphabète, ballottée par la vie et par un destin souvent contraire, Victoire trouve dans la cuisine un moyen merveilleux pour exprimer ce qu’elle est incapable de mettre en mots, elle qui ne parle que le kreyol et n’aime que la musique. Marieuse de saveurs, ingénieuse créatrice de recettes sans cesse renouvelées dont ne subsiste, dans les archives de la famille, que des noms tracés à l’encre pâlie sur des menus souvenirs, Victoire exprime ainsi ses joies et ses amours cachées, ses amitiés indéfectibles et sa résistance au malheur.
Dans une langue mâtinée de créole, Maryse Condé nous livre une page d’émotion, une vie trop tôt conclue brossée par touches colorées, reflet d’une époque bouillonnante à jamais révolue. Elle croque à grands traits, parfois acides et acérés mais jamais cyniques, le portrait de sa propre mère, Jeanne, tout aussi incapable de faire partager ses sentiments que ne l’avait été Victoire et ce, malgré des études brillantes et une carrière irreproachable d’enseignante. Heureux sommes-nous, nous lecteurs, qui avons aujourd’hui les mots de l'écrivain pour traduire la saveur incomparable de ce passé qui, par le poids de la souffrance, appartient à l’histoire de tous les descendants caraïbes des Africains.
J’avoue que ce qui m’a captivé dans ce récit, c’est beaucoup moins le personnage de Victoire, certes touchant dans son malheur mais un peu inconsistant, que celui de sa fille Jeanne (la mère de Maryse Condé)… Grâce au bon vouloir des employeurs blancs de Victoire, Jeanne reçoit de l’instruction et fait partie des premières femmes noires à obtenir le brevet. Elle deviendra institutrice et représentera «le prototype d’une nouvelle génération»…
C’est par elle que nous nous trouvons confrontés à la réalité de cette société coloniale du début du 20è siècle, à ses contradictions, son racisme, la haine plus ou moins dissimulée entre les deux communautés, noire et blanche… qu’entre les deux, il y avait (il y a ?) infiniment de nuances, que les noirs eux-mêmes distinguaient (distinguent?) les «nègres noirs» (voire les «Congos»!), les mulâtres, les «nègres bon teint» , les «Grands Nègres» …
Quelle complexité! Que de ressentiments, de revanches à prendre! L’exemple de Jeanne est parlant. A la recherche d’émancipation, de notoriété noire, elle devient dure, intolérante, poursuivant son but avec acharnement et sans concession, allant jusqu’à refuser à sa vieille mère de fréquenter ses seuls «amis», ses anciens employeurs blancs. Elle préfère la déraciner, la plonger dans une solitude absolue, mettant les principes au-dessus de l’humanité.
Mercure de France, mai 2006, 254 pages - 6€84
http://livre.fnac.com/a2234770/Maryse-Conde-Victoire-les-saveurs-et-les-mots
J’ai profité de mes dernières vacances en Martinique pour lire ce livre de Maryse Condé dont la grand-mère était Marie-Galantaise… c’est elle, la «Victoire» du titre, née environ vers 1870, et c’est l’histoire de sa vie que Maryse Condé tente de reconstituer.
En une exergue, Maryse Condé donne le ton de cet ouvrage. « Il devient indifférent que je me souvienne ou que j’invente, que j'emprunte ou que j’imagine ». Cette phrase empruntée à Bernard Pingaud, écrivain français illustre magnifiquement le récit, mélange d’enquête, d’imagination et de reconstitution sociale dans lequel l’auteure entraîne son lecteur subjugué.
Sous la plume tendre de Maryse Condé, Victoire prend vie et âme. Un lien filial, presque charnel, se dessine et unit comme un pont jeté au-dessus des siècles, la petite-fille écrivain à la grand-mère cuisinière qu’elle n’a jamais connue. Celle-ci, née dans les années 1870 à Marie-Galante, îlot plat de l’archipel des Caraïbes, était le fruit d’une brève rencontre entre un soldat blanc de passage et l’une des filles de la famille Quidal, des « nouveaux citoyens », comme on appelait encore les descendants des esclaves, une vingtaine d’années après l’abolition. Servante analphabète, ballottée par la vie et par un destin souvent contraire, Victoire trouve dans la cuisine un moyen merveilleux pour exprimer ce qu’elle est incapable de mettre en mots, elle qui ne parle que le kreyol et n’aime que la musique. Marieuse de saveurs, ingénieuse créatrice de recettes sans cesse renouvelées dont ne subsiste, dans les archives de la famille, que des noms tracés à l’encre pâlie sur des menus souvenirs, Victoire exprime ainsi ses joies et ses amours cachées, ses amitiés indéfectibles et sa résistance au malheur.
Dans une langue mâtinée de créole, Maryse Condé nous livre une page d’émotion, une vie trop tôt conclue brossée par touches colorées, reflet d’une époque bouillonnante à jamais révolue. Elle croque à grands traits, parfois acides et acérés mais jamais cyniques, le portrait de sa propre mère, Jeanne, tout aussi incapable de faire partager ses sentiments que ne l’avait été Victoire et ce, malgré des études brillantes et une carrière irreproachable d’enseignante. Heureux sommes-nous, nous lecteurs, qui avons aujourd’hui les mots de l'écrivain pour traduire la saveur incomparable de ce passé qui, par le poids de la souffrance, appartient à l’histoire de tous les descendants caraïbes des Africains.
J’avoue que ce qui m’a captivé dans ce récit, c’est beaucoup moins le personnage de Victoire, certes touchant dans son malheur mais un peu inconsistant, que celui de sa fille Jeanne (la mère de Maryse Condé)… Grâce au bon vouloir des employeurs blancs de Victoire, Jeanne reçoit de l’instruction et fait partie des premières femmes noires à obtenir le brevet. Elle deviendra institutrice et représentera «le prototype d’une nouvelle génération»…
C’est par elle que nous nous trouvons confrontés à la réalité de cette société coloniale du début du 20è siècle, à ses contradictions, son racisme, la haine plus ou moins dissimulée entre les deux communautés, noire et blanche… qu’entre les deux, il y avait (il y a ?) infiniment de nuances, que les noirs eux-mêmes distinguaient (distinguent?) les «nègres noirs» (voire les «Congos»!), les mulâtres, les «nègres bon teint» , les «Grands Nègres» …
Quelle complexité! Que de ressentiments, de revanches à prendre! L’exemple de Jeanne est parlant. A la recherche d’émancipation, de notoriété noire, elle devient dure, intolérante, poursuivant son but avec acharnement et sans concession, allant jusqu’à refuser à sa vieille mère de fréquenter ses seuls «amis», ses anciens employeurs blancs. Elle préfère la déraciner, la plonger dans une solitude absolue, mettant les principes au-dessus de l’humanité.
Mercure de France, mai 2006, 254 pages - 6€84
http://livre.fnac.com/a2234770/Maryse-Conde-Victoire-les-saveurs-et-les-mots
Si c'était à refaire , Marc Levy
Andrew Stilman, journaliste au New York Times, est assassiné lors de son jogging matinal quelques jours après son mariage. Alors qu’il se pensait mourant, il se réveille deux mois auparavant. Son objectif est alors de découvrir pourquoi et par qui il a été « tué » et corriger les erreurs qu’il pense avoir commises ces deux derniers mois, tant au plan personnel que professionnel. On retrouve le célèbre inspecteur Pilguez, personnage récurent des romans de Marc Levy, qui va contribuer à aider le journaliste durant son enquête.
L’auteur nous emmène de New York en Argentine où son personnage sera mêlé à la traque d’un ancien criminel militaire avec l’aide d’une mère de disparu durant la dictature du pays. C’est une histoire pleine de rebondissements qui vous tient en haleine durant tout le récit.
Marc Levy nous a habitués aux situations insolites voire improbables dans de nombreux romans : Et si c’était vrai, Sept jours pour une éternité, Toutes les choses qu’on ne s’est pas dites.
Happé par l’histoire qui mêle aussi bien passion amoureuse, rigueur journalistique et amitié forte, on est surpris à s’émouvoir avec les personnages, à rire voire à être très inquiet ! On se prend d’amitié pour ce personnage qui ressuscite 60 jours avant le jour du crime et qui n’aura de cesse de batailler contre le temps et contre son passé récent, essayant de réparer ou de refaire le passé avec plus ou moins de réussite.
Difficile de ne pas révéler l’épilogue de cette histoire… Alors que je pensais avoir découvert le coupable, suite à cette enquête digne d’un roman policier… voilà la surprise ! Ce n’est pas ce à quoi on aurait pu s’attendre, du type fin mielleuse ou convenue. En tout cas une fois ouvert on ne referme le livre que sur les derniers mots.
L’auteur : Marc Levy est né en 1961. Il est aujourd’hui le champion français des ventes de livres dans le monde avec un total de 24 millions d’exemplaires (Source des chiffres de vente et de classement : Ipsos/Livres Hebdo – Le Figaro). Les droits de son premier roman Et si c’était vrai ont été achetés par Steven Spielberg avant sa parution et adaptés au cinéma en 2005. Son roman Sept jours pour une éternité a été adapté en bande dessinée par Corbeyran et Espé. Si c’était à refaire est son treizième roman.
Robert Laffont, mars 2012, 291 pages - 19€95
http://livre.fnac.com/a4069924/Marc-Levy-Si-c-etait-a-refaire
Maudite Education, Gary Victor
Un adolescent, lors de ses premières rencontres avec la littérature, dans la petite bibliothèque de son père, se laisse aller à une séance de masturbation, qui va d'ailleurs se répéter tellement qu'il va être surpris en plein jour par son père sur le parquet de la maison en train de jouer au « Dieu seul me voit ». Les séances de masturbation entraînent des troubles physiques et mentaux et débouchent plus tard sur des descentes au bord de mer, où le narrateur, un aspirant écrivain et plus tard journaliste connu du plus grand quotidien de la capitale, calme les feux qui le consument en se laissant entraîner dans les sous-bois par les « laissés-pour-compte de la ville ».
L'obsession sexuelle
Dans ce roman, écrit à la première personne, le narrateur met à nu ses tares, es obsessions, mais aussi ses aspirations littéraires. L'obsession sexuelle habite le clair de l'histoire et ne s'estompera que grâce à l'amour, bien qu'interdit, pour une femme, Coeur Qui Saigne. Gary Victor ne laisse rien à deviner. Tout est à découvert dans ce roman qui prend parfois l'allure d'une autobiographie, surtout si on connaît le parcours de ce romancier prolifique qui a grandi à travers les histoires insolites qu'il publiait jadis dans les pages du Nouvelliste. Mais bien sûr, on ne va pas prendre pour parole d'évangile ce qu'un écrivain à l'imagination vertigineuse expose dans un roman. D'ailleurs qui peut, à coup sûr, décanter l'irréel du réel dans cette histoire truffée de fantasmagories? Les faits historiques, certes, sont là pour créer un contexte réaliste, mais les caractères répondent à une surréalité qui n'est pas trop différente du quotidien haïtien, où tout acte, tout décès, toute maladie fait l'objet d'une interprétation ésotérique, mystique, surnaturelle.
Ligne entre le réel et l'irréel
Quand les faits peinent à subjuguer, les rêves prennent la relève, en particulier ceux du malfini, figure phobique et itérative qui donne au narrateur son premier texte littéraire et qui, plus tard, va peupler les rêves qui suivent les moments les plus ténébreux de son idylle avec Coeur Qui Saigne. Les lignes de démarcation entre le réel et l'irréel sont aussi bousculées par les histoires insolites, éparpillées ici et là dans le roman, donnant voix aux femmes du bord de mer. Ces courts récits, dont la prose agile traverse le roman comme des étoiles filantes, renforcent le climat ésotérique du livre. Ces histoires parlent d'une femme fatale qui réapparait dix années après s'être jetée dans une mer grouillante de requins, d'un homme dont le sexe-couleuvre éventre sa jeune épouse pendant la nuit des noces, et d'une nonne qui hante les terrains vagues en quête d'hommes pour assouvir son désir de sexe. D'ailleurs, c'est de l'une des femmes du bord de mer que proviennent ces lignes qui résument bien l'atmosphère du livre: « Parfois il vaut mieux qu'on ne sache pas où finit le rêve et où commence la réalité, si on veut marcher tête droite sur la terre
bénie. »
Le jeu des relations
«Maudite éducation» peint aussi le jeu des relations entre le narrateur et ses parents, les femmes et ce pays dont il n'est pas fier. Toutes ces relations orientent le fil de son développement d'homme et d'écrivain. Celles avec son père, qui fut pour lui un guide, introduit chez lui l'importance de la lecture sélective. Et, c'est le décès de ce père, qui est à la fois soucieux des pulsions suspectes de son fils et fier de son potentiel d'écrivain, qui va accoucher ce refrain élégiaque, « trois cent trente-trois mètres...du bureau du chef de l'Etat »,dont la réverbération persiste tout au long du livre. On peut entendre le narrateur, la voix transformée par la colère, crier aux yeux vides qui le regardent mesurer de ses pas la distance entre la salle d'urgence de l'hôpital général, où mourut son père, et l'emplacement du bureau du président Eternel : « [Mon père] était mort parce que, dans cet hôpital dit d'Etat, où la population était censée recevoir des soins adéquats, il n'existe même pas un service d'urgence fonctionnel. » (Page 69).
Les années formatrices
Les femmes, elles, peuplaient les longues années formatrices de l'écrivain, tantôt comme ancre de sécurité (tel est le cas de sa mère) tantôt comme soupape pour ses pulsions sexuelles, tel est le cas des femmes de Nan Palmis. Cependant, la relation dominante du narrateur est celle avec Coeur Qui Saigne, sa partenaire d'un jeu de correspondances. Cette fille « au corps mince de princesse taïno » va causer au narrateur sa première agonie d'amoureux, le jour même de leur rencontre, et disparaître. Elle va réapparaître dix ans plus tard, dans une «cérémonie de chanpwèl », à laquelle participait le narrateur. Encore captivé par le « visage aux traits parfaits, moulé dans le cuivre le plus pur» de Coeur Qui Saigne, il fut rebasculé dans les flots tumultueux d'un amour rendu encore plus incertain par des promesses d'outre-tombe.
Quant au pays, avec son marasme économique et ses frustrations politiques, il gît là comme toile de fond sombre et déprimante, omniprésent dans le parcours des différents protagonistes du livre. Certains, tel le père du narrateur, optent pour le silence et la complaisance face au régime de terreur du président Eternel,« pour se ménager un espace de sécurité »; d'autres, tel le poète «original » Gaston Paisible, se noient dans un détachement de la réalité et un reniement de la décence et de la moralité. Son secret, divulgué au narrateur lors d'une séance de critique de texte, traduit bien cet état d'esprit qui a permis à plus d'un de survivre à ces années de terreur et même d'en profiter: le président Eternel, qu'on dit être aussi méchant, aussi inhumain — rappelle-toi qu'il a fait fusiller sans sourcilier dix-neuf officiers —, n'est que le miroir qui reflète la bêtise, la violence, le mépris de la personne humaine qu'on cultive tant dans notre société. Il est la quintessence de ce que, malheureusement, nous sommes, notre être véritable, notre pur produit. »(Page 67)
Tout est maudit dans ce livre, non seulement l'éducation du narrateur, mais aussi l'amour, la vie, le pays. Tout est à l'envers et semble voué à l'échec. Le père même du narrateur n'avait qu'un seul regret, celui de ne pas l'avoir envoyé vivre à l'étranger. L'histoire se situe dans les années 80 et 90 ; malheureusement, vingt à trente ans plus tard, nos jeunes continuent de rêver de quitter le pays, le commerce sexuel bat encore son plein dans les rues sombres de nos villes, nos dirigeants persistent dans la poursuite de la pérennisation du pouvoir, et nos hôpitaux — y compris l'hôpital général —continuent de fonctionner sans service d'urgence adéquat. N'est-on pas encore sous le coup de la malédiction ?
Mario Malivert/Le Nouvelliste
Mémoires d'encrier, août 2012, 291 pages - 29.95$ (Canadiens)
http://www.ruedeslibraires.com/livres/maudite-education-263696.html
Le briseur de rosée, Edwidge Danticat
Un adolescent, lors de ses premières rencontres avec la littérature, dans la petite bibliothèque de son père, se laisse aller à une séance de masturbation, qui va d'ailleurs se répéter tellement qu'il va être surpris en plein jour par son père sur le parquet de la maison en train de jouer au « Dieu seul me voit ». Les séances de masturbation entraînent des troubles physiques et mentaux et débouchent plus tard sur des descentes au bord de mer, où le narrateur, un aspirant écrivain et plus tard journaliste connu du plus grand quotidien de la capitale, calme les feux qui le consument en se laissant entraîner dans les sous-bois par les « laissés-pour-compte de la ville ».
L'obsession sexuelle
Dans ce roman, écrit à la première personne, le narrateur met à nu ses tares, es obsessions, mais aussi ses aspirations littéraires. L'obsession sexuelle habite le clair de l'histoire et ne s'estompera que grâce à l'amour, bien qu'interdit, pour une femme, Coeur Qui Saigne. Gary Victor ne laisse rien à deviner. Tout est à découvert dans ce roman qui prend parfois l'allure d'une autobiographie, surtout si on connaît le parcours de ce romancier prolifique qui a grandi à travers les histoires insolites qu'il publiait jadis dans les pages du Nouvelliste. Mais bien sûr, on ne va pas prendre pour parole d'évangile ce qu'un écrivain à l'imagination vertigineuse expose dans un roman. D'ailleurs qui peut, à coup sûr, décanter l'irréel du réel dans cette histoire truffée de fantasmagories? Les faits historiques, certes, sont là pour créer un contexte réaliste, mais les caractères répondent à une surréalité qui n'est pas trop différente du quotidien haïtien, où tout acte, tout décès, toute maladie fait l'objet d'une interprétation ésotérique, mystique, surnaturelle.
Ligne entre le réel et l'irréel
Quand les faits peinent à subjuguer, les rêves prennent la relève, en particulier ceux du malfini, figure phobique et itérative qui donne au narrateur son premier texte littéraire et qui, plus tard, va peupler les rêves qui suivent les moments les plus ténébreux de son idylle avec Coeur Qui Saigne. Les lignes de démarcation entre le réel et l'irréel sont aussi bousculées par les histoires insolites, éparpillées ici et là dans le roman, donnant voix aux femmes du bord de mer. Ces courts récits, dont la prose agile traverse le roman comme des étoiles filantes, renforcent le climat ésotérique du livre. Ces histoires parlent d'une femme fatale qui réapparait dix années après s'être jetée dans une mer grouillante de requins, d'un homme dont le sexe-couleuvre éventre sa jeune épouse pendant la nuit des noces, et d'une nonne qui hante les terrains vagues en quête d'hommes pour assouvir son désir de sexe. D'ailleurs, c'est de l'une des femmes du bord de mer que proviennent ces lignes qui résument bien l'atmosphère du livre: « Parfois il vaut mieux qu'on ne sache pas où finit le rêve et où commence la réalité, si on veut marcher tête droite sur la terre
bénie. »
Le jeu des relations
«Maudite éducation» peint aussi le jeu des relations entre le narrateur et ses parents, les femmes et ce pays dont il n'est pas fier. Toutes ces relations orientent le fil de son développement d'homme et d'écrivain. Celles avec son père, qui fut pour lui un guide, introduit chez lui l'importance de la lecture sélective. Et, c'est le décès de ce père, qui est à la fois soucieux des pulsions suspectes de son fils et fier de son potentiel d'écrivain, qui va accoucher ce refrain élégiaque, « trois cent trente-trois mètres...du bureau du chef de l'Etat »,dont la réverbération persiste tout au long du livre. On peut entendre le narrateur, la voix transformée par la colère, crier aux yeux vides qui le regardent mesurer de ses pas la distance entre la salle d'urgence de l'hôpital général, où mourut son père, et l'emplacement du bureau du président Eternel : « [Mon père] était mort parce que, dans cet hôpital dit d'Etat, où la population était censée recevoir des soins adéquats, il n'existe même pas un service d'urgence fonctionnel. » (Page 69).
Les années formatrices
Les femmes, elles, peuplaient les longues années formatrices de l'écrivain, tantôt comme ancre de sécurité (tel est le cas de sa mère) tantôt comme soupape pour ses pulsions sexuelles, tel est le cas des femmes de Nan Palmis. Cependant, la relation dominante du narrateur est celle avec Coeur Qui Saigne, sa partenaire d'un jeu de correspondances. Cette fille « au corps mince de princesse taïno » va causer au narrateur sa première agonie d'amoureux, le jour même de leur rencontre, et disparaître. Elle va réapparaître dix ans plus tard, dans une «cérémonie de chanpwèl », à laquelle participait le narrateur. Encore captivé par le « visage aux traits parfaits, moulé dans le cuivre le plus pur» de Coeur Qui Saigne, il fut rebasculé dans les flots tumultueux d'un amour rendu encore plus incertain par des promesses d'outre-tombe.
Quant au pays, avec son marasme économique et ses frustrations politiques, il gît là comme toile de fond sombre et déprimante, omniprésent dans le parcours des différents protagonistes du livre. Certains, tel le père du narrateur, optent pour le silence et la complaisance face au régime de terreur du président Eternel,« pour se ménager un espace de sécurité »; d'autres, tel le poète «original » Gaston Paisible, se noient dans un détachement de la réalité et un reniement de la décence et de la moralité. Son secret, divulgué au narrateur lors d'une séance de critique de texte, traduit bien cet état d'esprit qui a permis à plus d'un de survivre à ces années de terreur et même d'en profiter: le président Eternel, qu'on dit être aussi méchant, aussi inhumain — rappelle-toi qu'il a fait fusiller sans sourcilier dix-neuf officiers —, n'est que le miroir qui reflète la bêtise, la violence, le mépris de la personne humaine qu'on cultive tant dans notre société. Il est la quintessence de ce que, malheureusement, nous sommes, notre être véritable, notre pur produit. »(Page 67)
Tout est maudit dans ce livre, non seulement l'éducation du narrateur, mais aussi l'amour, la vie, le pays. Tout est à l'envers et semble voué à l'échec. Le père même du narrateur n'avait qu'un seul regret, celui de ne pas l'avoir envoyé vivre à l'étranger. L'histoire se situe dans les années 80 et 90 ; malheureusement, vingt à trente ans plus tard, nos jeunes continuent de rêver de quitter le pays, le commerce sexuel bat encore son plein dans les rues sombres de nos villes, nos dirigeants persistent dans la poursuite de la pérennisation du pouvoir, et nos hôpitaux — y compris l'hôpital général —continuent de fonctionner sans service d'urgence adéquat. N'est-on pas encore sous le coup de la malédiction ?
Mario Malivert/Le Nouvelliste
Mémoires d'encrier, août 2012, 291 pages - 29.95$ (Canadiens)
http://www.ruedeslibraires.com/livres/maudite-education-263696.html
Le briseur de rosée, Edwidge Danticat
Le briseur de rosée. Par Edwidge Danticat.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/014159ar
DOI: 10.7202/014159ar
On les appelait shoukèt laroze. Ils entraient chez vous. La plupart du temps, c’était la nuit. Souvent ils venaient avant l’aube, au moment où la rosée se dépose sur les feuilles et ils vous emmenaient.
Le dernier roman d’Edwidge Danticat, Haïtienne en exil, réfugiée aux États-Unis depuis l’âge de douze ans, aborde avec sensibilité et pudeur la figure d’un de ces « briseurs de rosée », hommes de main du pouvoir duvaliériste, mercenaires à la solde d’une des dictatures les plus ubuesques du XXe siècle.
Le texte se construit sur le principe d’une inversion du canevas propre au roman policier. Si la typologie du « polar » implique généralement que l’on remonte depuis un crime vers son élucidation, le roman, ici, s’ouvre plutôt sur les aveux d’un meurtrier pour s’achever, huit chapitres plus tard, par le récit d’un crime qui fut commis à la fin des années 1960.
L’assassin ? Un ex-milicien. Il confesse à sa fille unique que, loin d’avoir été « la proie », pendant le règne des Duvalier, il comptait au nombre des « chasseurs »… Réfugié à New York pour échapper à la vindicte populaire, il vit dans la peur d’être reconnu par ceux qu’il a torturés.
Entre ces deux moments de la narration que sont l’aveu d’un passé enfoui et le récit du crime perpétré, l’inversion du modèle du roman policier s’accompagne d’une distorsion des procédés d’enquête qui en régissent d’ordinaire la structure. Une fois posée la confession du forfait, loin de se concentrer sur la figure centrale du tortionnaire, le récit s’en éloigne au contraire, pour nous proposer des portraits, des tranches de vie, qui nous ramèneront insensiblement vers l’objet initial. Les retrouvailles d’un jeune couple d’Haïtiens séparés durant sept longues années par l’exil, la relation épistolaire entre une infirmière esseulée à Brooklyn et ses parents restés à Port-au-Prince — autant de récits anecdotiques sans relation directe avec le récit central — se chargent d’abord de dresser le cadre, peignant une Haïti diasporique qui a fui devant les abus d’un pouvoir politique corrompu.
Puis surgissent des personnages qui ont eu à souffrir de la cruauté des tontons macoutes et que le souvenir des brutalités, des exactions perpétrées contre eux ou contre leurs proches hantent encore. Ainsi le personnage de la couturière, torturée pour avoir refusé d’aller au bal avec un milicien, ou celui du jeune homme dont les parents furent abattus presque sous ses yeux, alors qu’il était enfant, et qui continue de crier leurs noms, chaque nuit, depuis le gouffre de ses cauchemars… Enfin, de petite touche en petite touche, suivant une technique narrative presque pointilliste, le portrait du bourreau se précise. Le puzzle se reconstitue.
Progressant de façon concentrique, le roman atteint sa cible : les affres du remords et de la culpabilité endurées par un ex-milicien que torture sa mémoire clandestine. Alors, et alors seulement, au fil du dernier chapitre, l’origine de la cicatrice qui zèbre son visage nous est révélée et, avec elle, les détails de son dernier crime.
Au terme de la lecture, on peut affirmer qu’Edwidge Danticat réussit à dresser un portrait saisissant des résonances multiples que peuvent engendrer dans la vie quotidienne de tout un peuple un régime de terreur, qui laisse trop souvent le meurtre impuni. Peut-être parce qu’il s’ancre sur « l’autre rive » (états-unienne), le regard que pose la romancière sur les dérives totalitaires haïtiennes se veut non pas réquisitoire, mais plaidoyer pour une humanité faillible. Profondément humaniste, Edwidge Danticat n’accable pas le bourreau, qui revêt ici la figure d’un père. Sans banaliser l’horreur des gestes qui furent posés — et qu’elle persiste à considérer comme impardonnables —, la romancière nous invite à imaginer, avec elle, la silhouette d’un tortionnaire sauvé par l’amour d’une femme et d’un enfant.
Katell Colin-Thebaudeau
Université Laval, Québec
Paris Grasset, 2005, 297 pages Prix éditeur 17€86 euros
http://livre.fnac.com/a1623696/Edwige-Danticat-Le-briseur-de-rosee
URI: http://id.erudit.org/iderudit/014159ar
DOI: 10.7202/014159ar
On les appelait shoukèt laroze. Ils entraient chez vous. La plupart du temps, c’était la nuit. Souvent ils venaient avant l’aube, au moment où la rosée se dépose sur les feuilles et ils vous emmenaient.
Le dernier roman d’Edwidge Danticat, Haïtienne en exil, réfugiée aux États-Unis depuis l’âge de douze ans, aborde avec sensibilité et pudeur la figure d’un de ces « briseurs de rosée », hommes de main du pouvoir duvaliériste, mercenaires à la solde d’une des dictatures les plus ubuesques du XXe siècle.
Le texte se construit sur le principe d’une inversion du canevas propre au roman policier. Si la typologie du « polar » implique généralement que l’on remonte depuis un crime vers son élucidation, le roman, ici, s’ouvre plutôt sur les aveux d’un meurtrier pour s’achever, huit chapitres plus tard, par le récit d’un crime qui fut commis à la fin des années 1960.
L’assassin ? Un ex-milicien. Il confesse à sa fille unique que, loin d’avoir été « la proie », pendant le règne des Duvalier, il comptait au nombre des « chasseurs »… Réfugié à New York pour échapper à la vindicte populaire, il vit dans la peur d’être reconnu par ceux qu’il a torturés.
Entre ces deux moments de la narration que sont l’aveu d’un passé enfoui et le récit du crime perpétré, l’inversion du modèle du roman policier s’accompagne d’une distorsion des procédés d’enquête qui en régissent d’ordinaire la structure. Une fois posée la confession du forfait, loin de se concentrer sur la figure centrale du tortionnaire, le récit s’en éloigne au contraire, pour nous proposer des portraits, des tranches de vie, qui nous ramèneront insensiblement vers l’objet initial. Les retrouvailles d’un jeune couple d’Haïtiens séparés durant sept longues années par l’exil, la relation épistolaire entre une infirmière esseulée à Brooklyn et ses parents restés à Port-au-Prince — autant de récits anecdotiques sans relation directe avec le récit central — se chargent d’abord de dresser le cadre, peignant une Haïti diasporique qui a fui devant les abus d’un pouvoir politique corrompu.
Puis surgissent des personnages qui ont eu à souffrir de la cruauté des tontons macoutes et que le souvenir des brutalités, des exactions perpétrées contre eux ou contre leurs proches hantent encore. Ainsi le personnage de la couturière, torturée pour avoir refusé d’aller au bal avec un milicien, ou celui du jeune homme dont les parents furent abattus presque sous ses yeux, alors qu’il était enfant, et qui continue de crier leurs noms, chaque nuit, depuis le gouffre de ses cauchemars… Enfin, de petite touche en petite touche, suivant une technique narrative presque pointilliste, le portrait du bourreau se précise. Le puzzle se reconstitue.
Progressant de façon concentrique, le roman atteint sa cible : les affres du remords et de la culpabilité endurées par un ex-milicien que torture sa mémoire clandestine. Alors, et alors seulement, au fil du dernier chapitre, l’origine de la cicatrice qui zèbre son visage nous est révélée et, avec elle, les détails de son dernier crime.
Au terme de la lecture, on peut affirmer qu’Edwidge Danticat réussit à dresser un portrait saisissant des résonances multiples que peuvent engendrer dans la vie quotidienne de tout un peuple un régime de terreur, qui laisse trop souvent le meurtre impuni. Peut-être parce qu’il s’ancre sur « l’autre rive » (états-unienne), le regard que pose la romancière sur les dérives totalitaires haïtiennes se veut non pas réquisitoire, mais plaidoyer pour une humanité faillible. Profondément humaniste, Edwidge Danticat n’accable pas le bourreau, qui revêt ici la figure d’un père. Sans banaliser l’horreur des gestes qui furent posés — et qu’elle persiste à considérer comme impardonnables —, la romancière nous invite à imaginer, avec elle, la silhouette d’un tortionnaire sauvé par l’amour d’une femme et d’un enfant.
Katell Colin-Thebaudeau
Université Laval, Québec
Paris Grasset, 2005, 297 pages Prix éditeur 17€86 euros
http://livre.fnac.com/a1623696/Edwige-Danticat-Le-briseur-de-rosee
Le sang et la mer, Gary Victor
A la frontière du roman réaliste, de la tragédie antique et de la légende mythologique, dans un syncrétisme mal défini entre l’obscurantisme religieux et le vaudou renvoyant aux croyances ancestrales, Gary Victor a écrit, au féminin, un roman sur la misère, la crasse, la putréfaction, l’absence totale d’hygiène, la pauvreté, le dénuement absolu, l’inculture, la prostitution, la corruption, la spoliation, la violence, tout ce qui fait Port-au-Prince actuellement, capitale du premier pays noir à avoir obtenu son indépendance.
Une histoire de sexe, fruit béni de l’innocence, seule monnaie d’échange pour cette jeunesse totalement démunie, une histoire de sexe sordide, une histoire de sexe pleine de tendresse, une histoire de sexe débordante de sensualité. Mais, à mon avis, il a d’abord écrit une épopée mythologique dans laquelle la belle déesse noire, courtisée par tous les dieux du pays, est victime de la beauté à laquelle elle n’a pas droit ; mais son frère, tel Poséidon maître des flots vengeurs, détient la puissance des océans capable de venger la déesse outragée. « Que la mer était mon souffle et que mon souffle était la mer, petite sœur ». Une parabole qui pourrait s’adresser au peuple noir, héritier légitime de ce sol, qui devrait lessiver le pays en un grand flot pour faire table rase de tous les pouvoirs illégitimes et corrompus qui sucent le sang du peuple.
Dans un bidonville de Port-au-Prince, Hérodiane, belle indigène à la peau d’ébène, se vide de son sang après un avortement qui a mal tourné. Elle attend, sans trop y croire, son petit ami aux yeux bleus et à la peau presque blanche que son frère est allé chercher car ils n’ont pas le moindre sou pour payer un médecin, appeler un taxi, ou transporter la jeune fille dans un centre de soin. Le frère a promis à la mère, sur son lit de mort, qu’il veillerait sur sa sœur et il ne veut surtout pas renier son serment. En attendant son sauveur, la fille attend la mort qu’elle sent de plus en plus l’emporter, en se remémorant leur parcours depuis leur arrivée dans la ville après la mort de leurs parents.
Ces deux jeunes gens, nés dans un village de la côte, ont échoué dans ce bidonville accroché à une paroi abrupte de la capitale, après que le père est décédé d’un malaise suite à la spoliation de son lopin par un sénateur véreux et que la mère, rongée par la tuberculose, l’a suivi dans la tombe. Le frère débrouillard, pour tenir son serment et soustraire sa sœur, si belle, à la prostitution, lui paie des études avec son petit commerce mais surtout grâce à ses relations. Si Hérodiane échappe au commerce de ses charmes, le commerce qui est souvent la seule solution possible pour les filles, et parfois les garçons, de subsister sur cette moitié d’ile maudite, elle n’échappe pas à l’amour d’un fils de bonne famille qui lui donnera du plaisir mais ne pourra jamais lui offrir un avenir, elle n’appartient pas à la bonne caste et elle n’est même pas de la bonne couleur.
L’écriture de Gary Victor est d’une grande empathie, elle prend le lecteur par la main et l’emmène dans son monde avec douceur et tendresse même si la violence, le cynisme, la douleur et même la cruauté constituent le quotidien des héros de ce texte. On a parfois l’impression que l’auteur charge un peu trop la barque de ces deux jeunes innocents mais l’histoire nous montre qu’en Haïti, le malheur est toujours plus lourd que ce que l’on peut imaginer. On a l’impression d’évoluer dans la misère la plus crasse, la plus sordide, dans un océan de corruption et de violence et que le pouvoir loin de chercher des solutions à ces maux calamiteux, ne pense qu’à s’enrichir en organisant la misère pour en tirer profit. « Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l’or. »
Cependant, n’oublions pas qu’avant d’être le maître des flots, Poséidon était le détenteur des forces telluriques et qu’il avait la fâcheuse habitude de secouer la terre pour passer ses colères.
Vents d’ailleurs, 2010, 192 pages, Prix éditeur 16€15 euros
http://livre.fnac.com/a3094136/Gary-Victor-Le-sang-et-la-mer
A la frontière du roman réaliste, de la tragédie antique et de la légende mythologique, dans un syncrétisme mal défini entre l’obscurantisme religieux et le vaudou renvoyant aux croyances ancestrales, Gary Victor a écrit, au féminin, un roman sur la misère, la crasse, la putréfaction, l’absence totale d’hygiène, la pauvreté, le dénuement absolu, l’inculture, la prostitution, la corruption, la spoliation, la violence, tout ce qui fait Port-au-Prince actuellement, capitale du premier pays noir à avoir obtenu son indépendance.
Une histoire de sexe, fruit béni de l’innocence, seule monnaie d’échange pour cette jeunesse totalement démunie, une histoire de sexe sordide, une histoire de sexe pleine de tendresse, une histoire de sexe débordante de sensualité. Mais, à mon avis, il a d’abord écrit une épopée mythologique dans laquelle la belle déesse noire, courtisée par tous les dieux du pays, est victime de la beauté à laquelle elle n’a pas droit ; mais son frère, tel Poséidon maître des flots vengeurs, détient la puissance des océans capable de venger la déesse outragée. « Que la mer était mon souffle et que mon souffle était la mer, petite sœur ». Une parabole qui pourrait s’adresser au peuple noir, héritier légitime de ce sol, qui devrait lessiver le pays en un grand flot pour faire table rase de tous les pouvoirs illégitimes et corrompus qui sucent le sang du peuple.
Dans un bidonville de Port-au-Prince, Hérodiane, belle indigène à la peau d’ébène, se vide de son sang après un avortement qui a mal tourné. Elle attend, sans trop y croire, son petit ami aux yeux bleus et à la peau presque blanche que son frère est allé chercher car ils n’ont pas le moindre sou pour payer un médecin, appeler un taxi, ou transporter la jeune fille dans un centre de soin. Le frère a promis à la mère, sur son lit de mort, qu’il veillerait sur sa sœur et il ne veut surtout pas renier son serment. En attendant son sauveur, la fille attend la mort qu’elle sent de plus en plus l’emporter, en se remémorant leur parcours depuis leur arrivée dans la ville après la mort de leurs parents.
Ces deux jeunes gens, nés dans un village de la côte, ont échoué dans ce bidonville accroché à une paroi abrupte de la capitale, après que le père est décédé d’un malaise suite à la spoliation de son lopin par un sénateur véreux et que la mère, rongée par la tuberculose, l’a suivi dans la tombe. Le frère débrouillard, pour tenir son serment et soustraire sa sœur, si belle, à la prostitution, lui paie des études avec son petit commerce mais surtout grâce à ses relations. Si Hérodiane échappe au commerce de ses charmes, le commerce qui est souvent la seule solution possible pour les filles, et parfois les garçons, de subsister sur cette moitié d’ile maudite, elle n’échappe pas à l’amour d’un fils de bonne famille qui lui donnera du plaisir mais ne pourra jamais lui offrir un avenir, elle n’appartient pas à la bonne caste et elle n’est même pas de la bonne couleur.
L’écriture de Gary Victor est d’une grande empathie, elle prend le lecteur par la main et l’emmène dans son monde avec douceur et tendresse même si la violence, le cynisme, la douleur et même la cruauté constituent le quotidien des héros de ce texte. On a parfois l’impression que l’auteur charge un peu trop la barque de ces deux jeunes innocents mais l’histoire nous montre qu’en Haïti, le malheur est toujours plus lourd que ce que l’on peut imaginer. On a l’impression d’évoluer dans la misère la plus crasse, la plus sordide, dans un océan de corruption et de violence et que le pouvoir loin de chercher des solutions à ces maux calamiteux, ne pense qu’à s’enrichir en organisant la misère pour en tirer profit. « Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l’or. »
Cependant, n’oublions pas qu’avant d’être le maître des flots, Poséidon était le détenteur des forces telluriques et qu’il avait la fâcheuse habitude de secouer la terre pour passer ses colères.
Vents d’ailleurs, 2010, 192 pages, Prix éditeur 16€15 euros
http://livre.fnac.com/a3094136/Gary-Victor-Le-sang-et-la-mer
Le coeur à rire et à pleurer , Maryse Condé
Dans la Guadeloupe des années cinquante, on tient son rang en se gardant de parler créole; on méprise plus noir et moins instruit que soi. Les conventions priment les sentiments: on ne cède pas aux larmes devant le cadavre d'un être cher; on cache, infamie, un divorce dans la famille.
Contre des parents qui semblent soudés surtout par le mensonge, contre une mère aussi dure avec les autres qu'avec elle-même, contre un père timoré, la petite Maryse prend le chemin de la rébellion. L'insoumission, la franchise assassine, l'esprit critique forgent son caractère. La fuite dans un monde imaginaire, la soif de connaissance, les rêves d'autonomie et de liberté la guident vers son destin d'écrivain.
Mais peu à peu la mémoire adoucit les contours, les épreuves de la vie appellent l'indulgence, la nostalgie de l'âme caraïbe restitue certains bonheurs d'enfance. Et Maryse se souvient alors de cet instant qui lui redonna l'amour des siens, de cette ultime nuit ou «roulée en boule contre son flanc, dans son odeur d'âge et d'arnica, dans sa chaleur», elle retrouva sa mère en la perdant.
Pocket, 2001, 154 pages, 5€ euros
http://livre.fnac.com/a1163266/Maryse-Conde-Le-coeur-a-rire-et-a-pleurer
Dans la Guadeloupe des années cinquante, on tient son rang en se gardant de parler créole; on méprise plus noir et moins instruit que soi. Les conventions priment les sentiments: on ne cède pas aux larmes devant le cadavre d'un être cher; on cache, infamie, un divorce dans la famille.
Contre des parents qui semblent soudés surtout par le mensonge, contre une mère aussi dure avec les autres qu'avec elle-même, contre un père timoré, la petite Maryse prend le chemin de la rébellion. L'insoumission, la franchise assassine, l'esprit critique forgent son caractère. La fuite dans un monde imaginaire, la soif de connaissance, les rêves d'autonomie et de liberté la guident vers son destin d'écrivain.
Mais peu à peu la mémoire adoucit les contours, les épreuves de la vie appellent l'indulgence, la nostalgie de l'âme caraïbe restitue certains bonheurs d'enfance. Et Maryse se souvient alors de cet instant qui lui redonna l'amour des siens, de cette ultime nuit ou «roulée en boule contre son flanc, dans son odeur d'âge et d'arnica, dans sa chaleur», elle retrouva sa mère en la perdant.
Pocket, 2001, 154 pages, 5€ euros
http://livre.fnac.com/a1163266/Maryse-Conde-Le-coeur-a-rire-et-a-pleurer
La vis sans fards, Maryse Condé
Née à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, Maryse Condé est l’auteur d’une œuvre considérable et maintes fois primée : Ségou, La vie scélérate, Traversée de la mangrove, Moi, Tituba sorcière noire de Salem, Les Belles Ténébreuses, En attendant la montée des eaux… Après avoir longtemps enseigné à l’université de Columbia, elle se partage aujourd’hui entre Paris et New York.
Comme Diogène cherchant un homme dans les faubourgs d’Athènes, Maryse Condé cherche l’Afrique. Côte d’Ivoire, Guinée, Ghana, Sénégal… Une décennie de billets d’avion ponctuant un parcours chaotique en terre africaine. Dans cette autobiographie sans concession, Maryse Condé s’épargne poudre aux yeux et autres artifices pour livrer le récit taille jusqu’à la moelle du début de sa vie d’adulte, de femme, de mère, et d’écrivain.
Tout commence par Paris, la rencontre d’un journaliste haïtien, la naissance d’un enfant, la fuite inattendue de l’homme. Le premier, l’initiateur du désordre… Nous sommes à l’orée des années soixante. La jeune mère célibataire se destine à l’enseignement. Nouvelle rencontre, celle de Condé, son futur mari, étudiant en théâtre d’origine guinéenne, avec qui elle aura trois enfants sans partager sa vie. En septembre 1959, son premier poste la conduira en Côte d’Ivoire. À des milliers de kilomètres de là, sa mère puis son père décéderont, achevant d’effilocher les liens avec sa Guadeloupe natale. “Je n’étais pas seulement orpheline ; j’étais apatride, une SDF sans terre d’origine, ni lieu d’appartenance.”
Que cherchait donc en Afrique Maryse Condé, née Boucolon, appartenant à la petite-bourgeoisie noire insulaire ? S’agissait-il d’un retour aux sources par-delà la douleur du passage du Milieu ? La terre mère africaine n’a pas été tendre avec elle. Au tournant des indépendances, les rapports entre Africains et Antillais sont encore marqués par le sceau de la relation coloniale. Maryse Condé est partagée entre la certitude que cette terre peut lui offrir des “richesses essentielles” et le constat amer qu’elle ne l’acceptera jamais telle qu’elle est : une femme libre, qui se joue des convenances, qui cherche tout simplement sa place dans le monde.
Dans la Guinée de Sékou Touré dont elle admirait l’allure lors de ses parades dominicales sur la corniche de Conakry, seul, au volant de sa Mercedes, elle est témoin de la brutalité du régime. Elle est chassée du pays comme elle sera expulsée par la suite du Ghana de Kwame N’Krumah pour la grisaille de Londres. Mais toujours elle a rebondi, seule, avec ses enfants, aidée par les amitiés profondes qu’elle sait tisser, mais sans les hommes. Avec eux, les relations sont à la fois passionnées et conflictuelles. Maryse Condé a l’âme indépendante et la liberté chevillée au corps.
De professeur, elle devient journaliste, chroniqueuse pour la radio, au Ghana puis en Angleterre. Étudiante, elle s’était déjà fendue d’une tribune assassine destinée à la revue Esprit à la sortie de Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon. Amoureuse de la poésie de Césaire, elle pensait que cet homme-là disait faux. Plus tard, elle reverra son jugement.
Dans La Vie sans fards, l’écrivain sait aussi reconnaître ses erreurs. Elle n’hésite pas non plus à célébrer ses amitiés, Sembène Ousmane, Roger Dorsinville, Wole Soyinka, Hamilcar Cabral... Des artistes, des hommes politiques qui éveilleront sa conscience historique. Car peu à peu Maryse Condé sentira bouillonner en elle la nécessité d’écrire. Elle invite par petites touches à entrer dans la fabrique de son écriture en livrant quelques clés des emprunts à sa propre histoire, notamment dans son premier roman, Heremakhonon (1976), inspiré de son expérience en Guinée.
Portrait émouvant d’une mère courage ballottée par l’histoire, mais qui surnage avec obstination, La Vie sans fards conte la naissance d’une grande écrivaine.
Paris, J.-C. Lattès, 2012, 335 pages, 19€ euros
http://livre.fnac.com/a4208872/Maryse-Conde-La-vie-sans-fards
Née à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, Maryse Condé est l’auteur d’une œuvre considérable et maintes fois primée : Ségou, La vie scélérate, Traversée de la mangrove, Moi, Tituba sorcière noire de Salem, Les Belles Ténébreuses, En attendant la montée des eaux… Après avoir longtemps enseigné à l’université de Columbia, elle se partage aujourd’hui entre Paris et New York.
Comme Diogène cherchant un homme dans les faubourgs d’Athènes, Maryse Condé cherche l’Afrique. Côte d’Ivoire, Guinée, Ghana, Sénégal… Une décennie de billets d’avion ponctuant un parcours chaotique en terre africaine. Dans cette autobiographie sans concession, Maryse Condé s’épargne poudre aux yeux et autres artifices pour livrer le récit taille jusqu’à la moelle du début de sa vie d’adulte, de femme, de mère, et d’écrivain.
Tout commence par Paris, la rencontre d’un journaliste haïtien, la naissance d’un enfant, la fuite inattendue de l’homme. Le premier, l’initiateur du désordre… Nous sommes à l’orée des années soixante. La jeune mère célibataire se destine à l’enseignement. Nouvelle rencontre, celle de Condé, son futur mari, étudiant en théâtre d’origine guinéenne, avec qui elle aura trois enfants sans partager sa vie. En septembre 1959, son premier poste la conduira en Côte d’Ivoire. À des milliers de kilomètres de là, sa mère puis son père décéderont, achevant d’effilocher les liens avec sa Guadeloupe natale. “Je n’étais pas seulement orpheline ; j’étais apatride, une SDF sans terre d’origine, ni lieu d’appartenance.”
Que cherchait donc en Afrique Maryse Condé, née Boucolon, appartenant à la petite-bourgeoisie noire insulaire ? S’agissait-il d’un retour aux sources par-delà la douleur du passage du Milieu ? La terre mère africaine n’a pas été tendre avec elle. Au tournant des indépendances, les rapports entre Africains et Antillais sont encore marqués par le sceau de la relation coloniale. Maryse Condé est partagée entre la certitude que cette terre peut lui offrir des “richesses essentielles” et le constat amer qu’elle ne l’acceptera jamais telle qu’elle est : une femme libre, qui se joue des convenances, qui cherche tout simplement sa place dans le monde.
Dans la Guinée de Sékou Touré dont elle admirait l’allure lors de ses parades dominicales sur la corniche de Conakry, seul, au volant de sa Mercedes, elle est témoin de la brutalité du régime. Elle est chassée du pays comme elle sera expulsée par la suite du Ghana de Kwame N’Krumah pour la grisaille de Londres. Mais toujours elle a rebondi, seule, avec ses enfants, aidée par les amitiés profondes qu’elle sait tisser, mais sans les hommes. Avec eux, les relations sont à la fois passionnées et conflictuelles. Maryse Condé a l’âme indépendante et la liberté chevillée au corps.
De professeur, elle devient journaliste, chroniqueuse pour la radio, au Ghana puis en Angleterre. Étudiante, elle s’était déjà fendue d’une tribune assassine destinée à la revue Esprit à la sortie de Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon. Amoureuse de la poésie de Césaire, elle pensait que cet homme-là disait faux. Plus tard, elle reverra son jugement.
Dans La Vie sans fards, l’écrivain sait aussi reconnaître ses erreurs. Elle n’hésite pas non plus à célébrer ses amitiés, Sembène Ousmane, Roger Dorsinville, Wole Soyinka, Hamilcar Cabral... Des artistes, des hommes politiques qui éveilleront sa conscience historique. Car peu à peu Maryse Condé sentira bouillonner en elle la nécessité d’écrire. Elle invite par petites touches à entrer dans la fabrique de son écriture en livrant quelques clés des emprunts à sa propre histoire, notamment dans son premier roman, Heremakhonon (1976), inspiré de son expérience en Guinée.
Portrait émouvant d’une mère courage ballottée par l’histoire, mais qui surnage avec obstination, La Vie sans fards conte la naissance d’une grande écrivaine.
Paris, J.-C. Lattès, 2012, 335 pages, 19€ euros
http://livre.fnac.com/a4208872/Maryse-Conde-La-vie-sans-fards