23 avril 2015 « Lavi pa facil » à Haïti… Mais c’est un hymne à la vie que nous chante Laurent Gaudé avec « Danser les ombres »! L'Express.fr | Publié le 23 avril 2015 6H04 Par les-8-plumes Comme les précédents romans de L. Gaudé que j’ai commentés ici, celui-ci m’a émue et emballée. Cela se passe à Haïti et je savais qu’il y serait question de la catastrophe du tremblement de terre de 2010. Bien qu’ayant beaucoup apprécié « Ouragan » qui racontait la Nouvelle Orléans après le passage de Katrina, je repoussais cette lecture-ci craignant peut-être que Gaudé ne commence à se spécialiser dans les catastrophes naturelles et leurs cortèges de misères. Ce serait une erreur ! Et si « Ouragan » restait très noir malgré des étincelles d’espoir, « Danser les ombres » en dépit des chagrins, de la tragédie, est bouleversant d’humanité, de foi en l’amour et la fraternité. Oh, que cela paraît bien-pensant, dit ainsi, dans un climat ambiant de cynisme triomphant. Et pourtant ! Gaudé prend le temps dans la première moitié du livre d’installer Haïti, donnant à imaginer parfaitement le décor et des personnages bien campés : Nine, la trop belle fille sans malice qui aime les hommes ; Pabava, le chantre de l’amitié, rescapé de cinq semaines de tortures des sbires des tontons Macoute et Matrak, l’un de ceux-ci, vieux chauffeur de taxi maintenant qui élève des coqs de combat ; Lily la petite blanche riche condamnée par la médecine et qui veut connaître la vraie vie hors sa bulle aseptisée ; le vieux Tess qui pratique la chaude amitié dans sa maison ancien bordel, ou encore Ti Sourire l’élève infirmière… Et d’autres, auxquels on s’attache comme à des amis chers. Voilà Saul, le batard d’un riche propriétaire et d’une boniche au fessier trop tentant, qui croit avoir raté sa vie… Et Lucine, celle qui découvre le désir de vivre la sienne ! Ces deux-là se reconnaissent et Gaudé offre au lecteur une magnifique histoire d’amour dans le décor devenu apocalyptique de Port-au-Prince quand, « d’un coup, sans que rien ne l’annonce, d’un coup, la terre, subitement, refusa d’être terre, immobile, et se mit à bouger ». Alors, comme dans « La porte des enfers », ce diable de Gaudé mélange vivants et morts dans une folle danse des ombres et nous ne savons plus rien, perdons nos certitudes, pénétrant dans un monde qui n’a plus rien à voir avec notre rationalité. Ce livre, c’est à la fois Jorge Amado et René Depestre (je n’ai toujours pas lu L. Trouillot, auquel le roman est co-dédicacé) : un univers troublant où les frontières deviennent incertaines entre la vie et la mort et dont nous émergeons titubants. C’est un livre qui chante les hommes libres, « avec d’autres hommes libres, (…) le bonheur est là, avec d’autres hommes libres, à cracher sur Duvalier haut et fort s’ils le veulent, à boire du rhum en chantant de vieilles chansons d’opposants, le bonheur d’avoir construit une vie (…) ». C’est un livre à garder précieusement, pour le relire. Véronique Poirson
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