Les littératures des Antilles françaises: des doudouistes aux post-créolistes28 avril 2019
Les littératures des Antilles françaises: des doudouistes aux post-créolistes Erudit.org | Par Françoise Simasotchi-Bronès UNE LITTÉRATURE SOUS LE POIDS DE L’HISTOIRE L’expression « Antilles françaises » englobe deux entités géographiquement éloignées : la Caraïbe, d’une part, et la Guyane sur le grand continent sud-américain, d’autre part. Il en va de même pour sa littérature souvent dite antillo-guyanaise. Les problématiques spatiales et historiques différent légèrement : Guadeloupe et Martinique se caractérisent par leur insularité, la Guyane, par sa continentalité. Une fois les populations indiennes (Arawaks ou Caraïbes) de l’archipel antillais décimées, les colonisateurs espagnols, anglais et français instaurent l’esclavage des Noirs, déportés, par le dispositif de la Traite, de l’Afrique vers les Amériques. Le système de la plantation devient le modèle d’organisation économique et socioculturel de la région. Dans les possessions françaises, l’esclavage a été aboli une première fois par l’Assemblée constituante en 1794, rétabli par Bonaparte en 1802, puis définitivement aboli en 1848. Ces îles antillaises seront alors soumises au code restrictif de l’indigénat. En 1946, sous l’instigation d’Aimé Césaire, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane obtiennent le statut de département français (DOM2 ). Ce qui semblait être une porte d’entrée dans l’égalité républicaine se révélera finalement déceptif, car les préjugés raciaux sont tenaces. Ce tableau historique, très rapidement brossé, est indispensable pour comprendre le développement ultérieur de ces littératures. Il faut le compléter en rappelant l’extrême diversité des origines du peuplement de ces îles et de la Guyane. Comme le rappelle l’écrivain guadeloupéen Daniel Maximin, il a fallu « quatre continents pour faire un peuple » : colons français, esclaves africains et, après 1848, travailleurs « engagés », Africains, Indiens, Chinois, Japonais et Libano-Syriens. La Guyane est, elle aussi, un kaléidoscope de peuples . Autre élément majeur commun à ces îles, à côté de l’usage du français (plus ou moins répandu mais réservé aux colons blancs dits békés), introduit dès le XVIIe siècle, se sont développés des créoles à base lexicale française4 qui permettent une communication entre esclaves et maîtres. Le phénomène d’intercompréhension qui existe entre les créoles suggèrent une parenté culturelle entre les DOM, Haïti (indépendante dès 1804) et même la Louisiane (ancienne colonie française, devenue l’un des États-Unis d’Amérique en 1803). Pour des raisons sociohistoriques et politiques évidentes, ces littératures antillaises francophones sont entrées plus tardivement dans la République mondiale des lettres que celle d’Haïti par exemple, la grande sœur des littératures francophones caribéennes. Entrée différée par le fait que les premiers textes concernant ces espaces furent les relations de voyage, écrites par des voyageurs et des missionnaires qui ont constitué une littérature exogène, selon Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant dans leurs Lettres créoles. Hormis Atipa du Guyanais Alfred Parépou, premier récit en créole, paru en 1885, jusqu’au début XXe siècle, les premières productions littéraires (roman et poésie) sont le fait de colons ou de mulâtres, alors que les Noirs sont la population majoritaire. La littérature reste donc une littérature marquée par « l’exotisme, la nostalgie, la rêverie passéiste sur le peuple caraïbe, le mythe des îles heureuses » car les Békés et les mulâtres vivaient en exil et étaient peu soucieux des réalités locales. La poésie, très présente, reprenait des thèmes évoquant l’amour avec de belles doudous sous des tropiques paradisiaques. L’extinction de cet exotisme littéraire doudouiste sera très lente. LE CONTEUR : LITTÉRATEUR PREMIER Retracer l’histoire de cette littérature antillaise doit aussi passer par un rappel de l’importance de l’oralité initiale. Selon les critiques antillais francophones, cet héritage africain fut la première forme de littérature pour les esclaves et leurs descendants, qui n’avaient pas accès à l’écrit. Ce point rapproche les littératures créoles et africaines. Des critiques haïtiens ont créé le mot « oraliture », qui désigne des productions non écrites mais néanmoins empreintes d’une valeur littéraire. Cette oraliture (contes légendes, devinettes, etc.), née dans et contre le système des plantations du système colonial (dont la condition servile du Nègre) a diffusé, de façon sous-terraine, une contre-culture de résistance à l’asservissement, de sorte que le conteur est le littérateur premier de cet espace. ÉMERGENCE LITTÉRAIRE ÉMERGENCE LITTÉRAIRE : LÉGITIME DÉFENSE ET AUTRES REVUES La revue Légitime défense (1 seul numéro paru en 1932) est un des textes fondateurs de la littérature antillaise, d’influence surréaliste, marxiste et freudienne ; elle affiche une volonté de rupture avec la littérature d’assimilation en vogue jusque-là aux Antilles. Ses rédacteurs, une dizaine de jeunes gens e n c o l è r e , d é n o n c e n t l e doudouisme et l’aliénation culturelle qu’ils subissent, et réclament l’avènement d’une littérature antillaise digne de ce nom. Leurs revendications sont donc identitaires, littéraires, culturelles et politiques. L’émergence de la littérature antillaise est rendue possible grâce à d’autres revues créées pour la plupart à Paris par la diaspora noire : La Voix des Nègres (1927), La Race nègre (1927), L’Étudiant martiniquais (1934), L’Étudiant noir (1935). Cette dernière est la première revue littéraire à laquelle ont collaboré un petit groupe d’intellectuels noirs venus des différentes colonies de l’empire colonial français qui se sont rencontrés au Quartier latin, où ils faisaient leurs études : Léopold Sedar Senghor, Ousmane Socé et Birago Diop du Sénégal, Aimé Césaire et Léonard Sainville de Martinique et Léon Gontran Damas de Guyane. L’influence de Jean-Price Mars (Haïti), des Noirs américains des mouvements du New negro, ou de la Harlem Renaissance (Lagnston Hughes, Claude Mac Kay, etc.) va nourrir la prise de conscience d’une spécificité noire qui sera au cœur du mouvement de la Négritude. LA NÉGRITUDE : CÉSAIRE ET DAMAS Aimé Césaire (1913-2008) inaugure une authentique littérature antillaise. Il forge avec Senghor et Damas, le mot de Négritude, qui est l’affirmation d’une culture, voire d’une civilisation noires dont l’Afrique serait le berceau. En 1931, Césaire a quitté sa Martinique natale pour venir faire des études en France, où il prépare l’École normale supérieure. À la fin de ce séjour, il écrit Cahier d’un retour au pays natal, d’abord publié sous formes de fragments en 1939 et dans lequel il envisage son retour dans son île. Rentré en Martinique, avec sa femme Suzanne et d’autres intellectuels martiniquais, au moment où débute la Deuxième Guerre mondiale, confronté au régime de Vichy, qui prend le pouvoir en France, il crée une revue de résistance politique et culturelle : Tropiques, qui parait à partir de 1941 avant d’être censurée en 1943. Cette revue traduit la prise de conscience de l’oppression subie par le peuple martiniquais à travers le système colonial. La même année, en route vers l’exil à New York, lors d’une escale en Martinique, André Breton découvre par hasard, dans une mercerie, des extraits du Cahier. Admiratif de l’écriture de Césaire et de sa poésie « belle comme l’oxygène, naissant », il en fera la promotion en écrivant une préface : « Un grand poète noir », qui donnera au Cahier dans le champ littéraire francophone la visibilité qui lui avait fait défaut à sa sortie. Avec ce « grand cri nègre » poussé en 1939, Césaire opère une rupture fondatrice pour la littérature antillaise et donne l’« arme miraculeuse » de la reconquête de soi-même du noir antillais. Pour Franz Fanon, « L’Antillais après 1945 a changé ses valeurs […]. Il se découvre […] non seulement un noir mais un nègre ». Le texte a une forte dimension messianique, le poète acceptant d’être le porte n’ont point de bouche ». Sont frappantes la nouveauté radicale de cette écriture poétique, sa violence performative et polémique, les néologismes, hapax, images-chocs donnant à ce verbe une force révélatrice. Les œuvres césairiennes ultérieures, poétiques, théâtrales, dont son Discours sur le colonialisme (1950), poursuivent cette démarche de libération politique et d’affirmation identitaire. En 1945, Césaire est élu député de la Martinique et maire de Fort-de-France : il le restera jusqu’en 1993 : pour lui, poésie et action politique sont indissociables. Compagnon de route de Césaire, le Guyanais Léon Gontran Damas pointe de son côté, sur un ton polémique, la passivité des Antillo-guyanais, dans ses poèmes Pigments (1937) et Retour de Guyane (1938). Du côté de l’essai, on peut noter une avancée majeure avec le Martiniquais Frantz Fanon, qui met au jour l’aliénation des Noirs antillais et plus largement des colonisés dans Peau noire masques blancs (1952). Ce virulent texte anticolonial sera suivi des Damnés de la terre (1961, préfacé par Jean-Paul Sartre), manifeste radical d’une volonté de décolonisation. Les écrits de Fanon, psychiatre installé en Algérie et qui a pris parti pour la libération algérienne, vont nourrir les discours anticoloniaux mondiaux de la décennie 1960. Parce que sa théorisation nécessitait que la Négritude propose une vision partiale, elle a été critiquée par René Depestre, Wole Soyinka , ou encore Fanon. Mais elle a indéniablement joué un rôle fondamental dans l’avènement d’une littérature antillaise reconnue par tous, se défiant de l’autoexotisme, à qui il importe d’ancrer l’écriture dans le réel et surtout de prendre en compte la spécificité du nègre antillais, longtemps dépossédé d’expression propre. Selon Jack Corzani : « la Négritude [a] favorisé, en tant que construction mythique, “irrationnelle”, la création littéraire et singulièrement poétique dans l’ensemble du monde négro-africain, Antilles-Guyane comprises. En libérant le Noir antillo-guyanais de ses complexes, en l’encourageant à crier sa Négritude et sa révolte face à la condition qui lui était faite, elle allait révolutionner la littérature antillaise dans ses thèmes et dans ses formes ». La Négritude a inauguré une tradition de littérature antillaise de combat, d’engagement et de responsabilité qui fut portée par des auteurs parfois moins connus, tels Joseph Zobel (La rue Cases-nègres, 1950), Guy Tyrolien (Balles d’or, 1961), Paul Niger (Initiation, 1954), etc. L’ANTILLANITÉ : ÉDOUARD GLISSANT En créant le terme d’Antillanité, dans le climat politique insurrectionnel des années 1960, Édouard Glissant (1928 -2011), poète, romancier et théoricien martiniquais, propose de dépasser les déterminations raciales pour articuler la prise de conscience antillaise sur l’histoire et l’environnement culturel des îles. L’Antillanité n’exalte pas une essence nègre, improbable, compte tenu de la multiplicité des peuples qui constituent la communauté antillaise. Elle propose un espace de réflexion dans lequel toutes les composantes ethniques (Blancs, Noirs, Asiatiques, etc.) peuvent se reconnaitre. Née du constat de l’échec de la départementalisation (1946) qui a stérilisé toute créativité, l’Antillanité porte un projet d’émancipation politique et la mise en place d’un système fédéral qui regrouperait les Antilles. C’est une réflexion géographique (et historique) plutôt qu’ethnique autour d’une identité antillaise « ouverte et plurielle ». Selon Glissant, « l’Antillais doit passer de la proclamation de sa présence au monde à l’affirmation positive [de celle-ci] » (Corzani, op.cit, p. 62). Glissant est le principal romancier de l’Antillanité et affirme le devoir pour l’écrivain antillais, comme tout écrivain postcolonial, de revisiter l’histoire officielle pour en démonter les mensonges. Par la suite, rassemblant l’ensemble de ses travaux, son Discours antillais (1981) opère un recentrement sur la Caraïbe. La réflexion qui s’y développe est fondée sur l’éloge du Divers. Mais c’est avec sa philosophie de la Relation et sa théorie de la créolisation que Glissant s’impose comme un des penseurs du monde contemporain postcolonial, de l’envergure d’un Aimé Césaire. Son œuvre est profuse : romanesque, La lézarde (prix Renaudot 1958), Le quatrième siècle (1964), Malemort (1975) ; poétique, Les Indes (contre-épopée), Champ d’îles, La terre inquiète ;théâtrale, Monsieur Toussaint (1961) ; philosophique, Le traité du Tout-monde, Poétique de la relation, Philosophie de la Relation. Mort en 2011, lu et traduit en plusieurs langues, il est une figure majeure de la vie littéraire et intellectuelle contemporaine. L’Antillanité, notion plus que concept, propose une définition assez floue pour servir d’étiquette à plusieurs romanciers et poètes attachés à rendre compte du réel antillais. CRÉOLITÉ ET CRÉOLISATION : GLISSANT, CONFIANT ET CHAMOISEAU La démarche de Glissant va fortement influencer une génération de jeunes écrivains. Trois d’entre eux, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, publient Éloge de la Créolité (1989), dans la continuité des idées défendues par Glissant, dédicataire de l’essai. Le créole, langue et personnalité, est au centre d’une esthétique et d’une poétique que ce manifeste tente de formaliser. Ce mouvement coïncide avec l’épanouissement d’une nouvelle littérature antillaise, s’inventant dans l’acceptation d’une langue française imagée, fécondée par l’imaginaire créole. La Créolité, porteuse de la possibilité d’un « retour à soi-même réconcilié », vise à la refondation identitaire d’un sujet collectif créole qui résulterait de la créolisation telle que définie par Glissant. À ceci près que, pour ce dernier, « créole » signe une identité irréductible à une appartenance nationale, un devenir qui s’élabore dans la Relation, contact permanent avec d’autres. La créolisation, processus inachevable, inaugure donc un nouveau mode d’être-au-monde, parti de l’espace caraïbe et qui s’applique désormais au Tout-Monde. Écrivains prolixes, Chamoiseau et Confiant sont représentatifs d’une génération d’écrivains qui, grâce aux révoltes de leurs aînés, ont pu remettre en cause les canons littéraires impériaux en pratiquant notamment un travail de remaniement de la angue française, tout en mettant au centre de leur création l’affirmation d’une spécificité identitaire caribéenne, construite à partir d’une histoire acceptée, car revisitée, et d’une géographie assumée qui les place à la croisée de l’Afrique, de l’Europe et des Amériques. EN MARGE OU DANS LE SILLAGE DE L’ANTILLANITÉ ET OU DE LA CRÉOLITÉ En marge, ou dans le sillage de ces notions ou mouvements se rangent quelques auteurs caribéens contemporains importants. On peut citer Tony Delsham (Martinique), auteur populaire prisé par le grand public, dont l’œuvre reprend de manière assez schématique les principes de la Créolité. On peut également mentionner de grandes romancières guadeloupéennes qui illustrent librement l’Antillanité ou la Créolité, qu’elles intègrent ou discutent. Simone Schwarz-Bart a d’abord écrit à quatre mains avec son mari d’origine juif polonaise André11, avant de signer, seule, une œuvre magistrale : Pluie et vent sur Télumée Miracle (1972), chronique de la vie guadeloupéenne du début du XXe siècle qui suit le destin d’une lignée de femmes courageuses, seuls éléments de stabilité d’une société à la dérive. Elle reviendra vers l’Afrique avec Ti Jean l’horizon (1979), en associant oralité et écriture romanesque ; c’est le récit d’un parcours allégorique proche de celui de la romancière elle-même. Maryse Condé signe une œuvre importante, où elle questionne les retrouvailles possibles entre les Antillais et l’Afrique, notamment dans son épopée africaine Ségou (1984), mais aussi dans La vie sans fards (2012). Elle critique les doxas sclérosantes de la Négritude ou Créolité et revendique son identité nomade. Gisèle Pineau s’intéresse aux identités confrontées à l’exil, Le papillon dans la cité (1992), L’exil selon Julia (1996). Elle s’attache à dénoncer la condition faite aux femmes dans ces communautés postcoloniales (violence sexuelle et symbolique) où elles demeurent « les colonisées des décolonisés », dans L’espérance macadam (1995), Fleur de Barbarie (2007), Cent vies et des poussières (2012). Son écriture est qualifiée de Créolité au féminin par Christiane Ndiyae. D’autres jeunes auteures, comme Fabienne Kanor ou Gerty Dambury, peuvent compléter ce tableau, qui est très loin d’être exhaustif. La littérature guyanaise est moins visible. Quelques noms émergent : René Maran (Batouala, prix Goncourt, 1921), L. G. Damas, J. Elie Stephenson, Bertène Juminer (Les Batards, 1961 ; Au seuil d’un nouveau cri, 1978) et, plus récemment, Serge Patient (Le Nègre du gouverneur, 1972), Alfred Alexandre ou André Paradis. D’autres écrivains sont méconnus ; leur manque de visibilité peut donner l’impression d’une stérilité de la créativité littéraire en Guyane – comme piégée par l’image du bagne qui lui a été longuement attachée. Toutefois, en regard de la Créolité, on assiste au développement de la notion très proche de Guyanité dans les années 1990. Ces deux notions sont maintenant interrogées par des jeunes auteurs qui prennent la relève, comme Alfred Alexandre (Martinique), qui se déclare post-créole, ou Miguel Duplan (Guyane)… Après Césaire, grand dramaturge de la décolonisation, on note un développement récent du théâtre, resté longtemps le parent pauvre de la littérature antillaise et qui mériterait une présentation plus circonstanciée. EN GUISE DE CONCLUSION : PETITES LITTÉRATURES EN PRISE AVEC LA MONDIALITÉ Comme beaucoup de littératures postcoloniales, la littérature antillaise a souffert de sa difficulté à émerger, puis à assurer son autonomie, ne disposant pas d’organes de diffusion suffisants et pourvue d’un lectorat pauvre. Elle reste encore largement dépendante du centre hexagonal et de son institution littéraire. Cependant, du doudouisme à la (post)créolité, elle a créé son espace d’expression propre et gagné en reconnaissance et en visibilité. Les notions de créolisation et de Tout-monde glissantiennes , les prix littéraires, les traductions et adaptations filmiques (par exemple de La Rue Cases Nègres), la sauvent d’une relation binaire avec la métropole et concourent à son rayonnement. Les Antilles-Guyane sont de « petits pays », mais leurs littératures sont, de plus en plus clairement, « au cœur nouveau du monde », selon Glissant.
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«Notre-Dame de Paris», quand le roman de Victor Hugo se fait prophétie18 avril 2019
«Notre-Dame de Paris», quand le roman de Victor Hugo se fait prophétie RFI.fr | Publié le 18 avril 2019 | 11:07 Par Gabrielle Maréchaux Il est précieusement conservé à la Bibliothèque nationale de France (BnF) sur le site François-Mitterrand. Le manuscrit de « Notre-Dame de Paris » raconte l’histoire de ce texte aujourd’hui en tête des ventes des librairies, et rappelle l’amour de Victor Hugo pour sa muse de pierre. Certains passages acquièrent aussi une résonnance bien particulière après l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. C’est un gros volume à la reliure épaisse et à la couverture de velours rouge, conservé au dix-septième étage de la Bibliothèque nationale. Lorsqu’on l’ouvre, on lit, écrit en gros caractères à la plume, d’une encre brune « Notre-Dame de Paris ». En lettres liées juste en dessous, Victor Hugo, fidèle à une habitude, raconte sur la première page du manuscrit l’histoire de cette rédaction qu’il achève : « j’ai écrit les trois ou quatre premières pages de " Notre-Dame de Paris " le 25 juillet 1830, la révolution de juillet m’interrompit, puis ma chère petite Adèle vient au monde, qu’elle soit bénie, je me remis à écrire Notre-Dame de Paris, le 1er septembre et l’ouvrage fut terminé le 15 janvier 1831. » Rédigé en quelques mois seulement, sous la pression d’un éditeur qui menace de faire payer des pénalités de retard, l’écriture est fine, les ratures sont rares, mais cela ne surprend pas Thomas Cazentre, le conservateur qui veille sur les manuscrits de la Bibliothèque nationale. « Tous les manuscrits de Hugo sont rédigés d’un jet, c’est quelqu’un qui écrivait très vite, certaines de ses pièces ont été écrites en quinze jours, dit-il. Ses manuscrits sont aussi toujours très propres, car Victor Hugo est le premier écrivain français qui conserva tous ses manuscrits, qui les a emmenés avec lui en exil et qui surtout, a veillé à ce qu’ils reviennent, à sa mort, à la Bibliothèque nationale. » La fragilité des vieilles pierres Page après page, c’est ensuite toujours la même disposition étonnante, l’écrivain n’écrit que sur la moitié droite, laissant le vide à gauche, pour d’éventuelles, mais rares, corrections. A intervalle régulier, en haut à gauche, la main hâtive de l’imprimeur écrit en gros le nom de l’ouvrier typographe qui sera chargé de la composition des pages qui suivent, lettres de plomb après lettre de plomb : Eugène, Maréchal, Michel, Levi, Bossu … » Dès la préface, un premier extrait saisit le lecteur qui connaît l’incendie du 15 avril 2019, quand Victor Hugo avertit sur la fragilité de vieilles pierres de la cathédrale, en 1830. « Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice, que l’église de Notre-Dame de Paris, mais si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe Auguste qui en avait posé la dernière. Sur la face de cette vieille église, reine de nos cathédrales à côté d’une ride on trouve toujours une cicatrice. » Des mots qui s’imprimèrent dans les consciences des premiers lecteurs et influèrent rapidement sur l’opinion dans les années qui suivent la parution de l’ouvrage, qui coûtait 1 franc à sa parution. En 1843, un chantier de restauration est lancé sous l’égide de l’architecte en vogue à l’époque Eugène Viollet-le-Duc. Les travaux sont achevés en 1864, Victor Hugo est alors exilé, il ne verra la peau neuve de sa muse de pierre qu’à son retour à Paris en 1871. « Une grande flamme désordonnée et furieuse » Mais passé ce prologue qui s’inquiète sur la fragilité de pierres millénaires, un autre passage du manuscrit laisse songeur le lecteur d’aujourd’hui, quand, au livre X, le roman de Victor Hugo semble se faire prophétie de l’incendie. Quasimodo le bossu, élu Roi des fous au début du roman, se trouve sur le toit de Notre-Dame et voit l’armée des brigands monter pendant la nuit à l’assaut de Notre-Dame pour s’emparer d’Esmeralda. Armés d’échelle, ils progressent sur la façade, et voici alors les mots d’Hugo : « Tout d’un coup, il (Quasimodo) se souvint que des maçons avait travaillé tout le jour à réparer le mur, la charpente et la toiture de la tour méridionale, ce fut un trait de lumière, le mur était en pierre, la toiture en plomb, la charpente en bois, cette charpente prodigieuse, si touffue qu’on l’appelait la forêt. » Le stratagème de Quasimodo est alors ingénieux : faire fondre le plomb à l’aide de flammes et le déverser sur les assaillants. Sur les manuscrits où ces mots furent écrits, la plume de Victor Hugo se reprend pour amplifier l’image d’une cathédrale en flammes, constate Thomas Cazentre « on voit qu’il rajoute " si touffue " pour évoquer cette charpente qui est aujourd’hui partie en fumées. Plus loin, il barre le mot étrange pour écrire extraordinaire quand il décrit la scène vue depuis le parvis, et il rajoute " une grande flamme désordonnée et furieuse " dans ce brasier qu’il imagine : " tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église, ce qu’ils voyaient était extraordinaire, sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse, dont le vent emportait par moment un lambeau dans la fumée" ». Un incendie qui démarre sur la charpente à la faveur de travaux de rénovation, la coïncidence malheureuse ne ferait sans doute pas sourire l’écrivain, constate Thomas Cazentre : « Je ne suis pas sûr que ça lui aurait fait plaisir d’être visionnaire sur ce point-là. » Au grès des pages qui achèvent l’ouvrage, le monde de Victor Hugo continue de se déployer, parfois au-delà des mots, avec un dessin de Quasimodo, un plan griffonné du Paris médiéval, la silhouette d’un jongleur tracé à l’encre. Après la rédaction de Notre-Dame de Paris, la silhouette de la cathédrale continuera de hanter les manuscrits de Victor Hugo, qui choisit comme ex-libris ( tampon ou vignette qui marque la possession d’un livre ) la silhouette des deux tours du monument avec ses initiales pour veiller sur la page de garde de tous ses ouvrages. La romancière haïtienne Yanick Lahens finaliste du célèbre prix Goncourt de la nouvelle7 avril 2019
La romancière haïtienne Yanick Lahens finaliste du célèbre prix Goncourt de la nouvelle Rezonodwes.com | Publié le 2 avril 2019 La romancière haïtienne Yanick Lahens figure parmi les trois finalistes de l’édition 2019 du Prix Goncourt de la nouvelle avec son roman titré « L’oiseau Parker dans la nuit » (Sabine Wespeiser), a dévoilé mardi l’Académie Goncourt. Parmi les deux autres écrivains en compétition pour ce prix, se trouve une auteure belge, Caroline Lamarche, «Nous sommes à la lisière» (Gallimard) et un romancier français, Éric Neuhoff, «Les Polaroïds» (Ed. du Rocher). Née le 22 décembre 1953 à Port-au-Prince, Yanick Lahens a décroché le Prix Femina 2014 pour son roman « Bain de lune » et le prix Carbet des lycéens pour « Guillaume et Nathalie ». Première titulaire de la chaire Mondes francophones, Yanick Lahens a prononcé sa leçon inaugurale « Urgence(s) d’écrire, rêves d’habiter » le 21 mars 2019 au Collège de France devant près de 700 personnes. |
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