18 mars 2015
Ces hommes-maîtresses amoureux d’une femme mariée MarieClaire.fr | Publié le 12 février 2015 « Je ne décide ni du jour ni de l'heure de nos rendez-vous. Je propose, elle dispose... Elle part sans se retourner. Elle va le retrouver. Vivre avec lui. L'autre. » Ainsi parle Jérôme, personnage principal du roman de Guillaume Chérel « Les hommes sont des maîtresses comme les autres » (éd. Plon). Un homme-maîtresse amoureux fou d'Ava, mariée à un type bien. Comme l'auteur, qui a vécu ce rôle pendant deux ans, Jérôme quémande à son adorée des morceaux de jours et de nuits. Souvent en vain. Cantonnée dans l'ombre, frustrée et souvent amère, la maîtresse est une figure classique de l'attente amoureuse et de la dépendance affective. Aujourd'hui, ce rôle se conjugue aussi au masculin. Un renversement dont témoignent trois hommes, entre lucidité et fragilité. « Elle ne veut pas traumatiser son fils avec un divorce » Patrice, 42 ans, gérant de société, a une liaison depuis trois ans avec léa, 37 ans. J'ai du mal à réaliser que ça fait déjà trois ans. Trois ans d'amour clandestin, à guetter ses appels, à attendre et espérer ses visites. Au début de notre relation, ça m'arrangeait qu'elle ne soit pas libre. Je sortais d'une histoire de quatre ans avec une femme très compliquée, et je ne voulais plus m'investir dans une relation. J'avais envie de légèreté, de sensualité et de gaieté. Léa, que j'ai connue chez un fournisseur, m'est apparue comme le concentré de tout ce que j'attendais à ce moment-là. Très vite nous avons bu un verre ensemble, déjeuné, échangé des e-mails, des textos, et sommes devenus amants. Elle m'a tout de suite dit qu'elle était mariée et mère d'un petit garçon. Tout ça m'allait. Et puis, au bout de six mois, je suis tombé amoureux. Amoureux fou. Et elle aussi. Impossible d'imaginer la vie sans Léa, sans son rire, son corps, ses cheveux dorés, si lourds, si doux... Mais de son côté, pas question de traumatiser son fils avec un divorce. Alors je me contente de petits morceaux de Léa, de bouts de matins, de bouts d'après-midis, de miettes de soirées... tout un dimanche, une fois, un miracle, un vrai rêve. Léa, c'est du sur-mesure pour moi. Elle m'affole et m'apaise. Je ne me reconnais pas, je ne regarde pas les autres femmes ! J'ai eu des petites aventures pour me sevrer, essayer de couper le lien, mais ça n'a rien fait. Je reconnais que je suis paumé dans cette affaire, jamais je n'aurais pensé me retrouver dans cette situation quand même humiliante. J'en ai juste parlé à mon ami et associé, qui me dit que je dois considérer Léa comme une cigarette, le sevrage est très difficile mais nécessaire. J'ai honte quand je lui réponds que je suis trop accro. Je vois qu'il ne comprend pas, qu'il a limite pitié de moi. Léa me dit qu'elle ne peut pas imaginer que je sorte de sa vie et, en même temps, qu'elle n'assumerait pas de traumatiser son fils. Le pire, c'est que je la comprends... Je compense par le travail, je fais du sport. Je compte sur le temps, ma lassitude ou une nouvelle rencontre. C'est un peu pathétique, mais pour l'instant c'est comme ça. « Elle aurait du mal à "faire ça" à son mari » Antoine, 46 ans, instructeur de plongée, a une liaison depuis deux ans avec Anne, 41 ans. Anne me rappelle ma femme, décédée il y a huit ans. La même fantaisie, la même obstination et... le même côté enfant gâtée. Est-ce qu'on tombe toujours amoureux des mêmes femmes ? J'en arrive à le croire. Celles qu'on appelle les « chieuses », et qu'on n'arrive pas à quitter. Avec Anne, le ton a très vite été donné, et son comportement m'a amusé, agacé et séduit. Avec cette impression, très troublante, d'être à la fois en terrain connu et étranger. Physiquement, Anne m'a tout de suite attiré. Elle me dit que ça a été pareil de son côté. En trois jours nous étions amants. Entre nous, ça a été explosif. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais connu cette intensité dans le plaisir, cette impression de plénitude en faisant l'amour. Bizarrement, au lieu de me flatter, cet aveu m'a mis mal à l'aise, comme si les rôles étaient inversés. Tout de suite elle m'a parlé de son cancer du sein et du dévouement de son mari. Le problème, c'est que la petite histoire d'été a continué quand nous sommes rentrés à Paris. Et continue encore. Nous nous voyons à l'heure du déjeuner et le mercredi toute la journée... et une fois sur deux nous nous disputons. Elle dit qu'elle veut refaire sa vie avec moi, mais qu'elle aurait du mal à « faire ça » à son mari. Deux ans à ce régime, c'est long. Surtout que je vis ça seul dans mon coin. Pas question d'en parler à ma sœur ni à mes amis : ils diraient qu'Anne est égoïste et profiteuse, et je n'ai pas envie d'entendre parler d'elle comme ça. Même si je sais qu'elle est dans une situation où elle a le beurre et l'argent du beurre. Et puis il y a le côté matériel : avec son mari, elle vit dans le luxe, et je pense qu'elle n'est pas prête à faire marche arrière à ce niveau-là. Les restos que je lui offre, les cadeaux, tout ça a un côté minable en comparaison de son train de vie. Je me rends compte que je ne supporterai pas longtemps encore cette situation. Même si, c'est sûr, je vais à nouveau souffrir. Mais c'est sans doute le prix à payer pour retrouver la paix, et de la dignité. «Elle a peur que je me lasse » Vincent, 32 ans, ingénieur du son, a une liaison depuis un an avec Virginie, 36 ans. A l'époque, il y a sept ans, j'étais instable, dans l'excès. Virginie travaillait dans une maison de disques où je faisais un stage, et notre histoire a tout de suite été rock and roll : des disputes et des retrouvailles pendant presque trois ans. Puis j'ai eu l'opportunité de travailler à New York, et elle ne m'a pas suivi. Elle était à bout, usée. On s'est retrouvé à une fête, l'an dernier. Elle était encore plus rayonnante, plus sexy. Mais mariée et mère de famille. Un mariage pépère et solide, c'est elle qui le dit. Alors qu'entre nous c'est électrique. Elle me dit qu'avec moi elle retrouve la vraie Virginie. Ce qui est fou, c'est que pendant ces années elle ne m'a pas manqué, alors que maintenant je n'imagine pas la vie sans elle. Alors je l'attends. Comme elle a peur que je ne me lasse, que les disputes ne reviennent, je fais tout pour la rassurer. Parfois je perds confiance, d'autres fois je me dis que ma persévérance va payer. Mes potes me répètent que je me fais manipuler, que je me dévalorise... Je ne sais pas ce que ça va donner. Je ne me suis pas fixé de date limite. Pour l'instant, je me dis que j'ai le meilleur d'elle. Je plains son mari. Elle et moi on se marre de ce renversement des rôles, même si elle n'apprécie pas que je lui dise : « Tu viens voir ta maîtresse ? » Peut-être que dans quelques mois je ne tiendrai plus le même discours et que je tirerai un trait définitif sur cette histoire, ou peut-être qu'elle fera le grand saut. Qui sait ? L'avis du psy : « ces hommes-maîtresses sont dans le registre de l'extrême tendresse » Marie Claire : Le concept d'« homme-maîtresse » est-il nouveau ? Jean-Michel Hirt* : Ce qui est nouveau, c'est sa visibilité. Avec cette appellation, apparaissent chez l'homme hétérosexuel des composantes jusque-là occultées, telles la tendresse ou la passivité, versant féminin de la sexualité masculine. C'est à rattacher à la maternisation de la société, qui entraîne une promotion de l'affectif, du sentimental, et qui a des répercussions sur la sexualité des hommes et leur positionnement dans la relation amoureuse. Y aurait-il un profil psycho-affectif particulier de l'homme-maîtresse ? Ces hommes sont le fruit d'une relation mère-fils que la mère a investie de manière intense, exclusive et intime, et dont ils vont rechercher le substitut. Leur posture est celle du fils dévoué face à la femme-mère idolâtrée. Avec leur maîtresse, ils sont dans le registre de l'extrême tendresse, de l'abnégation. Ce qui opère un renversement des rôles : la maîtressemariée, dans la position traditionnelle de l'homme qui jouit à la fois de sa femme et de son amante ; et son amant, dans celle de la femme qui attend que son amoureux veuille bien la choisir. Tout ceci est inconscient, mais explique peut-être que ces liaisons finissent rarement par former un couple, chacun tirant des bénéfices inconscients de ce triangle érotique et amoureux.Pourquoi ces hommes ont-ils du mal à assumer ce rôle, surtout vis-à-vis de leurs pairs ? Ce nouveau rôle perturbe les repères des hommes comme des femmes. Comme à chaque fois que les hommes prennent en compte des dimensions féminines de leur vie sexuelle, ils sont dévalorisés, ils « s'abaissent ». Les autres hommes les rejettent et les femmes sont déstabilisées. Mais ce sont peut-être là les dernières résistances d'une société traversée par la question du genre et dans laquelle les frontières entre masculin et féminin sont en train de se recomposer. (*) Psychanalyste, auteur de « La dignité humaine, Sous le regard d'Etty Hillesum et de Sigmund Freud » (éd. Desclée de Brouwer).
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