Caroline du Sud - Un conservatisme fragilisé par quatre ans de trumpisme31 août 2020
Caroline du Sud - Un conservatisme fragilisé par quatre ans de trumpisme Le Devoir.com | Publié le 29 août 2020 Par Fabien Deglise à Charleston Avec un sourire timide, Felicia Sanders a demandé à son mari de répondre pour elle. « Tyrone », a-t-elle appelé avec un signe gêné de la tête quand on lui a demandé ce qu’elle pensait du climat politique actuel aux États-Unis. Et Tyrone s’est exécuté. « Nous avons un tueur de masse à la Maison-Blanche, a-t-il dit en parlant de Donald Trump. Les Afro-Américains, les Latinos sont les moins bien outillés pour faire face à la pandémie. Ils en meurent le plus. Et il ne fait rien. C’est un suprémaciste blanc et nous n’avons pas besoin de ça comme président des États-Unis. » Ça ! Les Sanders y ont été tragiquement confrontés en 2015 lorsqu’un suprémaciste armé a débarqué dans une réunion d’étude de la Bible à l’Emanuel African Methodist Episcopal Church, une des plus anciennes églises afro-américaines du pays, à Charleston, Caroline du Sud. Felicia était là, avec son fils Tywanza, 26 ans, qu’elle a vu mourir sous ses yeux en se vidant de son sang. Elle fait partie des trois survivants de cet attentat raciste qui a fait neuf morts. « Quand notre fils est mort, Joe Biden nous a appelés quatre jours plus tard pour nous présenter ses condoléances », a dit Tyrone depuis le balcon de sa maison. Sa femme, elle, n’a pas osé sortir, restant dans le cadre de la porte d’entrée pour suivre la conversation. « Cet homme a de la compassion pour les gens, peu importe leur couleur. Beaucoup de républicains ici dans l’État ont vu ce qu’il y a réellement dans l’œil de Donald Trump depuis quatre ans. C’est un être maléfique. Je suis sûr que cela va lui coûter son siège en novembre prochain. » Peut-être même, selon lui, que cela va faire basculer la Caroline du Sud dans le camp des démocrates. La dernière fois, c’était en 1976, à l’élection de Jimmy Carter. À deux mois du scrutin présidentiel, il n’est pas impossible, après plus de 40 ans de suprématie républicaine, que l’État du Sud contribue lui aussi à la chute du président américain en novembre prochain, en répondant favorablement à l’appel du duo Joe Biden et Kamala Harris pour une Amérique plus juste et plus égalitaire. Le changement de garde pourrait être alimenté autant par l’indignation que suscitent les dégâts de la pandémie, particulièrement au sein des minorités et des plus démunis, que par la colère induite par les bavures policières ciblant des citoyens noirs. La dernière en date qui s’est jouée à Kenosha au Wisconsin, samedi dernier, vient de remettre le pays sous tension, sur fond de revendications raciales. « Pour les électeurs afro-américains [qui en 2020 représentent plus du quart de l’électorat de l’État], c’est l’élection de la survie, laisse tomber à l’autre bout du fil Antjuan Seawright, stratège démocrate joint mardi à Columbia, la capitale. Sur le terrain, nous sentons une énergie différente cette année. Cela devrait se traduire par un taux de participation historique », clef de voûte d’une victoire démocrate, « à travers le pays, mais également en Caroline du Sud », ajoute-t-il. Mettre fin à la farce Mardi soir, sur la promenade du Waterfront Park de Charleston, Lester Brown, un technicien de scène, au chômage forcé depuis le début de la pandémie, venait tout juste de ranger son équipement de pêcheur et se préparait à rentrer chez lui en voiture. « C’est une année très importante, a-t-il admis lui aussi, parce que Trump n’est pas un président. C’est une farce. Il est temps pour lui d’être remplacé par quelqu’un qui représente réellement le peuple plutôt que lui-même. La participation va être énorme, croit-il également. Et si elle ne permet pas de faire passer l’État dans le bleu [la couleur du parti démocrate], elle devrait au moins nous aider à nous débarrasser d’un sénateur corrompu ». Lindsey Graham est ciblé par le commentaire. Il est le sénateur de Caroline du Sud, influent républicain à Washington, partenaire de golf de Donald Trump et un des précieux alliés du président qui l’a défendu sans relâche lors des procédures en destitution intentées contre Trump en 2019. Son règne est menacé par le démocrate Jaime Harrison, 44 ans, un libéral bien ancré dans la politique locale. Un récent sondage de la Quinnipiac University du Connecticut place les deux hommes au coude-à-coude, avec 44 % d’intentions de vote. « [Graham] a été un ardent défenseur de la sécurité nationale et un leader de son parti pendant 17 ans, mais son allégeance au président met son siège en danger », résumait au début du mois l’analyste Tim Malloy, tout en dévoilant les résultats de ce sondage. « D’un bord comme de l’autre, les gens que je connais semblent être profondément fatigués par le climat politique actuel dans ce pays », a indiqué mercredi matin Robert Nagle, technicien médical rencontré dans un parc de la ville alors qu’il promenait son caniche, baptisé Bowie, « comme David Bowie », a précisé l’homme dans la quarantaine. Il se dit politiquement entre les deux partis. « Un changement en novembre, ce serait la meilleure chose. Et si cela doit se produire, ce sera uniquement grâce aux voix des gens qui ne votent pas habituellement. » C’est ce que croit également Karyn Amira, professeure de science politique au Collège de Charleston. « La participation des Afro-Américains est d’une importance cruciale pour le Parti démocrate, mais également celle des jeunes, dit-elle en entrevue au Devoir. Le hic, c’est que ce vote est toujours un peu incertain ». Une jeunesse libérale La chose pourrait toutefois être différente en 2020, avec les manifestations du mouvement Black Lives Matter qui ont amené un groupe démographique plus jeune et plus éduqué à se mobiliser politiquement, dit-elle. Des jeunes de plus en plus présents en Caroline du Sud où, depuis 2004, la proportion d’électeurs noirs se maintient, mais celle des hommes et femmes blancs avec un diplôme collégial, elle, augmente sous l’effet des migrations entre les États. Les démocrates profitent de ce vote, plus éduqué, qui est généralement plus libéral. Alex Russell, 28 ans, parti de la Virginie il y a deux ans pour se lancer dans l’agriculture à Charleston, en fait partie. Mardi soir, il vendait ses produits sur un marché public de Mount Pleasant, petite ville huppée de l’autre côté du canal de Hog Island. « Beaucoup de gens autour de moi qui ne votaient pas habituellement vont y aller cette année, assure-t-il. Mais la Caroline du Sud reste un État conservateur influent avec des gens qui ont beaucoup de pouvoir et qui vont tout faire pour maintenir les républicains en poste ». Les tentatives de blocage des listes électorales à des milliers de citoyens issus des minorités font partie des tactiques. Tout comme les attaques depuis plusieurs semaines lancées contre le vote par la poste, par le président lui-même, qui laisse planer le spectre d’une fraude massive qui lui coûterait sa présidence, sans faits pour rendre ces suspicions moins bancales. La popularité de ce vote pourrait croître en temps de pandémie. Experts et politicologues s’entendent sur la sécurité du processus. « Ces attaques pourraient décourager certains électeurs en leur donnant l’impression que leur vote ne sera pas pris en compte, dit Karyn Amira. Barack Obama, lors de la convention démocrate, a évoqué cette menace et appelé les Américains à ne pas se laisser intimider par ces stratagèmes. » Depuis que les Noirs ont le droit de vote, on cherche à les dissuader d’aller voter. Mais cette année, je remarque qu’au lieu de les étouffer, cela les motive encore plus à aller aux urnes. — Antjuan Seawright Au Michigan, cette semaine, les autorités judiciaires ont ouvert une enquête sur une série d’appels téléphoniques automatisés appelant les électeurs de plusieurs districts riches en minorités à se méfier du vote par la poste, et ce, en laissant croire qu’il rendrait leurs données personnelles publiques et utilisables par des compagnies de carte de crédit pour retrouver les mauvais payeurs et par l’État pour forcer la vaccination. En gros. « Il s’agit d’une tentative inacceptable, indéfendable et flagrante de mentir aux citoyens sur leur droit de vote », a dit Jocelyn Benson, secrétaire d’État du Michigan, dans une déclaration officielle. « L’appel attise la peur et la méfiance des électeurs et fabrique une menace pour les décourager de voter. » Une tactique qui n’étonne pas Antjuan Seawright. « Il n’y a rien de nouveau. Depuis que les Noirs ont le droit de vote, on cherche à les dissuader d’aller voter. Mais cette année, je remarque qu’au lieu de les étouffer, cela les motive encore plus à aller aux urnes. » Ervin Peters, la soixantaine, propriétaire d’un stand de nourriture en plein air à Mount Pleasant, lui aussi s’accrochait cette semaine à l’espoir d’un vote massif en novembre prochain. « Pour remettre le pays sur une bonne voie, a-t-il dit pas très loin de son BBQ-fumoir surdimensionné. La Caroline du Sud est républicaine, mais ce n’est pas à cause de moi qui vote démocrate depuis les années 80, a ajouté l’homme originaire du Maine qui s’est installé là il y a 40 ans. Je crois que les démocrates vont gagner cette année. Mais cela ne va pas nous sortir du chaos pour autant, car Trump ne va pas se laisser faire et il va tenter de se maintenir à la Maison-Blanche malgré tout. » Ce reportage a été financé grâce au soutien financier du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.
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