Guerre en Ukraine : partout, les peuples défilent aux cris de « Arrêtons Poutine »28 février 2022
Guerre en Ukraine : partout, les peuples défilent aux cris de « Arrêtons Poutine » Le Monde.fr | Publié le 28 février 2022 | 11:07 Par Florence de Changy (Hongkong, correspondance), Cécile Ducourtieux (Londres, correspondante), Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance), Marie Jégo (Istanbul, correspondante), Allan Kaval (à Paris), Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant), Sandrine Morel (Madrid, correspondante), Carrie Nooten (New York, Nations unies, correspondante), Marina Rafenberg (Athènes, correspondance), Olivier Truc (Scandinavie, correspondance), Thomas Wieder (Berlin, correspondant) et Béatrice Gurrey (à Paris)v Quatre jours après le début des hostilités déclenchées par Vladimir Poutine, des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues – et pas seulement dans les capitales – parées de bleu et jaune, aux couleurs du drapeau ukrainien. Des manifestations contre la guerre et, surtout, contre le président russe, dont le visage s’est souvent retrouvé affublé de la moustache d’Hitler. Une onde de choc qui s’est propagée dans le monde entier. A Londres, lusieurs milliers de manifestants se rassemblent à Trafalgar Square, les pommettes barrées de bleu et jaune. « Arrêtons Poutine », « arrêtons la guerre », « fermons nos espaces aériens », clament ceux qui défilent au micro. Il y a beaucoup de familles avec enfants, des couples âgés, des Britanniques d’origine iranienne ou russe, des Hongkongais, venus soutenir la cause de Kiev. Sur une pancarte, Poutine est devenu « Putler » « Tout est tellement irréel »Sur le panneau d’Oksana Cheremkhivra, une exhortation en grandes lettres rouges : « Mères de Russie, arrêtez la guerre ». « Des jeunes soldats russes meurent en ce moment pour une guerre qui n’est pas la leur, déplore cette Britannique d’origine ukrainienne. Leur vie n’a aucune importance pour Poutine. » Sa mère, de 80 ans, et sa belle-mère sont isolées, sans aide, dans l’ouest de l’Ukraine. « Je regrette qu’on n’ait pas fait davantage pour arrêter Poutine. On savait, nous, qu’il était dangereux, mais personne ne nous écoutait. » Cassia Scott-Jones, une toute jeune fille, porte une pancarte écrite en russe qui se termine par un vigoureux « Putin go fuck yourself ». D’origine ukrainienne, elle aussi, Cassia enrage « qu’on n’ait pas stoppé Poutine dès 2014, quand il a occupé la Crimée ». Elle évoque deux enfants de 9 et 12 ans qui lui sont chers en Ukraine, et se met à pleurer. « Il y a quelques jours, on rigolait, on vivait nos vies, et maintenant… » L’attitude du Home Office (le ministère de l’intérieur), qui exige un visa pour les Ukrainiens fuyant la guerre, scandalise bon nombre de manifestants. A Madrid, la maire adjointe Begoña Villacis, du parti libéral Ciudadanos, a annoncé, elle, des aides pour les réfugiés qui arriveraient dans la capitale. Si des divisions politiques apparaissent en Espagne sur la participation aux opérations militaires de l’OTAN, les manifestations en faveur de l’Ukraine ne faiblissent pas depuis le 24 février, que ce soit à Barcelone, à Bilbao, ou dans d’autres villes. La fontaine de la place de Cybèle, à Madrid, s’est illuminée de bleu et de jaune, comme bon nombre de bâtiments officiels et, dimanche, près de 35 000 personnes ont encore défilé place de Colon. « Tout est tellement irréel, souligne Varvara, une Ukrainienne de 42 ans. Pour le moment, ma famille, à Kiev, est en vie, c’est tout ce que je peux dire. Mon frère, lui, est parti se battre. J’ai le cœur brisé. » Aux côtés de cette femme installée depuis vingt ans en Espagne, son fils, Sergio, 11 ans, et sa fille, Claudia, 7 ans. À Lisbonne, plusieurs centaines de manifestants ont lié le sort du pays envahi à celui du continent en criant « Sauvez l’Ukraine ! Sauvez l’Europe ! », au cours d’un défilé entre la statue du poète romantique ukrainien Taras Chevtchenko et le palais de Belem, où réside le président portugais. Marcelo Rebelo de Sousa a fait une apparition pour assurer de son soutien le président de l’association des Ukrainiens du Portugal : « Le peuple portugais est avec le peuple ukrainien. » « Enjeu vital »En France, plusieurs mairies ont accroché le drapeau bleu et jaune à leur fronton, et de nombreux rassemblements ont eu lieu, comme à Strasbourg, samedi, ou à Toulouse, liée à Kiev par un jumelage, dimanche. Place Saint-Michel, à Paris, des centaines de manifestants, ukrainiens, français, géorgiens, ont répondu, dimanche, à l’appel de l’Union des Ukrainiens de France. La veille, 5 000 personnes s’étaient déjà rassemblées place de la République. Dans la foule, chaque visage porte sa peine et ses espoirs de résistance. Nazarii Samvonyk, 19 ans, a posé ce matin encore à sa famille, dans l’ouest de l’Ukraine, cette question terrible : « Est-ce que tout le monde est en vie ? » Soulagement, jusqu’à présent, pour cet étudiant français, venu en France avec ses parents, en 2009. « Mes proches se cachent dans les sous-sols quand les bombes tombent, confie le jeune homme, mais ils s’organisent pour s’entraider quand il y a un moment de calme. D’autres veulent s’engager dans la résistance. » En avril, comme tous les ans, Nazarii devait rentrer au pays pour Pâques. Cette année, il restera à Paris, polarisé par les mobilisations, en suivant au jour le jour, avec angoisse, sur son téléphone, les violences infligées à son pays natal. C’est sans doute à Berlin, ville symbole de la guerre froide, où le Mur est tombé, en 1989, que les manifestations ont été les plus spectaculaires. Plus de 100 000 personnes se sont retrouvées, dimanche, autour de la porte de Brandebourg. Des hommes et des femmes de tous âges, sans aucune affiliation partisane ou syndicale, n’ayant guère l’habitude de descendre dans la rue, mais pour qui venir était une évidence. Comme Anna Roth : « Depuis jeudi, je ne pense qu’à l’Ukraine matin, midi et soir, explique cette institutrice de 29 ans. Cette guerre me bouleverse au plus profond de moi-même. Elle touche à l’essentiel : la paix en Europe. C’est pour la même raison que j’étais venue ici à la grande manifestation pour le climat il y a deux ans. Dans les deux cas, j’ai l’impression que l’enjeu est tout simplement vital pour l’avenir de l’humanité. » « Poutine assassin »Dans l’immense marée humaine, des centaines de banderoles et de pancartes rédigées en cyrillique, dont la cible est Vladimir Poutine, qualifié de « tueur », de « criminel de guerre » ou de « fils de pute ». D’autres proclament « Pas de troisième guerre mondiale » ou mettent en avant la « solidarité avec les Ukrainiens ». Stanislau et Nasta, des Biélorusses enveloppés dans le drapeau blanc et rouge de leur pays, les vêtements ornés d’autocollants jaune et bleu, se sentent touchés par le sort des Ukrainiens comme si c’était le leur. « On sait que ce n’est pas en défilant dans les rues qu’on arrêtera Poutine, disent-ils les larmes aux yeux. Mais en même temps, c’est tellement important de pouvoir le faire comme ça, librement, sans craindre de se faire arrêter. Nos frères et nos amis, en Russie, en Biélorussie, eux, n’ont pas cette chance. » A Athènes, quelque 2 000 personnes se sont rassemblées devant le Parlement, dimanche, à l’appel de la communauté ukrainienne de Grèce (32 000 personnes) en brandissant des pancartes, « Stop Poutine », « Poutine assassin », ou représentant, une fois encore, Poutine en Hitler. Dans la foule, le métropolite Chrysostomos de Marioupol, une ville du sud de l’Ukraine, région où vivent 100 000 personnes d’origine grecque. Lui-même a fui le pays il y a quelques jours. « J’étais hier au téléphone avec une femme seule coincée avec son enfant à Kiev, elle n’a pas de moyens pour venir en Grèce, elle pleurait, elle était désemparée. » Il précise cependant que la plupart des Grecs d’Ukraine veulent y rester. « Toute leur vie est là-bas. » Dans le nord de l’Europe, la Norvège, qui n’appartient pas à l’Union européenne mais qui est membre de l’OTAN, partage une frontière de 200 kilomètres avec la Russie. Les manifestations s’y sont multipliées dans plusieurs villes, comme à Kirkenes, ville frontière. En Finlande, dont la frontière commune est encore plus longue, 1 300 kilomètres, plus de 10 000 personnes se sont rassemblées à Helsinki devant l’ambassade de Russie aux cris de « Dehors la Russie, à bas Poutine ». En quelques jours, une initiative citoyenne demandant la tenue d’un référendum pour l’entrée de la Finlande dans l’OTAN a rassemblé 50 000 signatures, un exploit dans ce pays de 5,5 millions habitants. « Honte à vous ! »Le degré de tension atteint en Pologne, qui s’apprête à recevoir une vague de réfugiés sans précédent, dépasse sans doute de loin celui de tous les pays d’Europe orientale. Dimanche après-midi, à Varsovie, l’avenue qui mène à l’ambassade de Russie, imposant palais grisâtre hérité de la période de la guerre froide, était bloquée à la circulation et le bâtiment protégé par des dizaines de fourgons de police. Plus d’un millier de manifestants (15 000 la veille), essentiellement ukrainiens et polonais, se sont réunis là pour crier leur colère. Depuis l’estrade, de violentes insultes fusent en direction des diplomates russes, reprises par la foule : « Dégagez ! Dégagez ! » « C’est la guerre et le temps des paroles est fini ! hurle un militant polonais des droits humains. Le drapeau d’un état fasciste ne peut plus flotter dans notre capitale ! » Des portraits de Vladimir Poutine et du dictateur biélorusse, Alexandre Loukachenko, sont disposés en paillasson et piétinés par la foule. « Nous vous disions depuis des années que Poutine est un menteur et un assassin brutal, lance la militante féministe polonaise Marta Lempart. Vous nous preniez pour des russophobes hystériques. Vous continuiez le “business as usual” avec Moscou. Honte à vous ! » En Turquie, si Recep Tayyip Erdogan cherche à ménager ses liens avec la Russie, grand pourvoyeur de gaz et de blé, il n’a pu, ou voulu, empêcher les manifestations à Istanbul, Ankara, Eskisehir, notamment, depuis le jour de l’invasion, le 24 février. Des petits groupes de protestataires, parmi lesquels des Ukrainiens et des Tatars de Crimée, ont brandi des pancartes où le visage de l’homme le plus détesté du monde était couvert de mains ensanglantées. Un important dispositif policier, à Istanbul surtout, a cependant empêché les cortèges d’approcher du consulat de Russie, protégé par un enchevêtrement de barrières métalliques. Drapeau jaune et bleu sur les épaulesDe l’autre côté de l’Atlantique, c’est devant le siège des Nations unies, à New York, le long de la Ire Avenue, que les protestataires ont choisi de scander leurs slogans, alors que le Conseil de sécurité vient de voter la convocation d’une assemblée générale extraordinaire d’urgence des 193 membres, dès lundi. Drapeau jaune et bleu sur les épaules, Oksana feint de s’étonner : « M. Poutine savait déjà que le monde entier avait peur… Mais comment c’est possible ? La petite Ukraine n’a pas peur et se défend, et les dirigeants du monde entier ont peur ? C’est absurde ! » Au Japon, au Canada – où le pont Champlain sur le Saint-Laurent a été illuminé de bleu et jaune –, en Australie, partout se manifeste le soutien aux Ukrainiens. À Taïwan, où la Tour 101 de Taipei s’est habillée de jaune et bleu, l’invasion de leur pays alimente de nombreuses discussions sur les conséquences que peut avoir ce conflit sur l’attitude de la Chine à son égard. Depuis trois jours, plusieurs rassemblements ont été organisés et la présidente, Tsai Ing-wen, a annoncé qu’elle se joindrait aux sanctions occidentales contre Moscou. Un autre endroit d’Asie a les yeux rivés sur l’Ukraine : Hongkong. Les Hongkongais soutiennent tout particulièrement Volodymyr Parasyuk, l’un des héros du mouvement Euromaïdan de 2013-2014, qui a repris les armes et a appelé à la résistance cette semaine. Les jeunes Hongkongais ont fait d’une de ses phrases leur slogan fétiche, lors du mouvement de révolte à Hongkong, en 2019 : « Si nous acceptons ce que nous propose le gouvernement, nos chers amis morts au combat ne nous pardonneront pas. » Dimanche soir, une chaîne humaine de marcheurs tenant une lumière s’est formée en haut du rocher du Lion, lieu symbolique de l’esprit de résistance de Hongkong.
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