Haïti - Cinéma. Le Dessalines d'Arnold Antonin16 février 2022
Haïti - Cinéma. Le Dessalines d'Arnold Antonin Le Nouvelliste.com | Publié le 15 février 2022 Par Roberson Alphonse Une chevauchée dans un cimetière. Un cri, une annonce: « Dessalines est ressuscité » ! L’empereur laisse les résidents du pays sans chapeau. Il est là, au bas de la ville. Le travelling plante l’empereur dans l’actualité des rues de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, puis au boulevard qui porte son nom. Le boulevard Jean-Jacques Dessalines est crasseux, défoncé, bordé de terrains vagues et de ruines de maisons effondrées lors du séisme du 12 janvier 2010. Les images glissent sur fond d’un rap, la bande originale (BO). Nesmy, avec l’énergie d’un 50 Cents, s’approprie les mots de l’illustre Félix Morisseau Leroy : « Mèsi Papa Dessalines. » Il y a l’hommage, la reconnaissance mais un début d’interpellation. Le contraste est total. Saisissant. Les premières des 94 minutes de « Dessalines : le vainqueur de Napoléon », un documentaire d'Arnold Antonin, déstabilisent. Les séquences happent, interpellent, confortent ensuite le jugement. Le nôtre. Nous, Haïtiens, Haïtiennes, sur notre gestion du legs de l’empereur. Si Dessalines savait ce qui se passe aujourd’hui, il sommeillerait encore dans la poussière, lâche une voix off, comme pour enfoncer le clou de nos manquements face à Papa Dessalines, le chef militaire de la révolution haïtienne, la seule, intervenue bien après les révolutions américaine et française, à avoir proclamé l’égalité de tous les êtres, la liberté pour tous les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau… « … J’ai tout sacrifié pour voler à ta défense… », dit le personnage de Dessalines lui-même. D’autres images défilent. Elles interrogent les héritiers mais font plus. Elles proposent la découverte ou la redécouverte de Dessalines dans toutes ses aspérités. Ses parts d’ombre et de lumière, son parcours d’esclave, de lieutenant de Toussaint Louverture, son génie militaire. L’homme, le bon vivant, ses lits, les enfants qui y sont conçus, le danseur, l’époux, le chef d’État, sa vision politique, sa conception de la question de couleur, son projet économique, son assassinat le 17 octobre 1806, et l’infamie dans l’infamie le black-out mémoriel de 40 ans... La proposition est copieuse. Riche. Dessalines, le chef militaire et pas que Le chef militaire de génie, fin stratège, capable de gérer les contradictions au sein de la colonie où vivaient les bossales, les créoles, les affranchis, les mulâtres, les petits Blancs et les Blancs, les grands planteurs, est campé par Arnold Antonin, avec la contribution d’historiens, d’architectes de monuments, d’intellectuels, dont Pierre Buteau, Jean Casimir, Michèle Duvivier Pierre-Louis, Jean Alix René, Bayyinah Bello, Vertus Saint-Louis, John Picard Byron, Lesly Péan, Gaétan Mentor, Marc- Ferl Morquette, Daniel Élie... La victoire décisive à Vertières, le 18 novembre 1803 face aux milliers d’hommes de Rochambeau, les batailles à la Crête-à-Pierrot, à Port-au-Prince, Croix-des-Bouquets sont contées. Jean-Jacques Dessalines, général en chef de l’armée indigène unifiée sous son commandement après la réunion avec Geffrard au camp Gérard, dans le Sud, s’est inspiré de son adversaire, Napoléon qui mène des « guerres d’extermination ». Sous ses ordres, Capoix, Christophe se sont illustrés, hissés au panthéon des grands guerriers ayant vécu sous le soleil de Dieu. La narration de Pierre Brisson, impeccable et sobre, laisse passer quelques frissons, à l’évocation de tant de sacrifices pour posséder cette terre qui a bu le sang de tant de nos aïeux, portés par un idéal de liberté contre Napoléon, incarnation de l’oppression, de l’asservissement, de l’esclavage, forme aboutie de déshumanisation. Sacré empereur, deux mois avant Napoléon, Jean-Jacques Dessalines, devenu Jacques 1er, assume la monarchie. Il boit la passion révolutionnaire de Boisrond Tonnerre, incandescent, foudroyant dans sa rédaction de la déclaration de l’indépendance. Avant la rédaction de la Constitution de 1805 dans laquelle « le moi » de Dessalines prend toute la place, sans sacrifier, voit-on dans le film, « l’éblouissante modernité » qui transpire du texte. Les Haïtiens sont connus sous la dénomination de « noir ». Les ministres sont responsables de leurs actes. Les couleurs nationales sont le noir et le rouge. Le chef militaire ayant à charge de conduire le jeune État dispose de cette Constitution qui tient en alerte le pays, appelé à se mettre debout au premier coup de canon. Les images aériennes de Marchand-Dessalines, la première capitale, sa ceinture de fortification aujourd’hui en ruines renseignent sur la stratégie défensive consistant à ériger des places fortes, des forts à l’intérieur des terres. Fort Drouet, la Citadelle, le fort des Platon, entre autres. Au nord, au sud, à l’intérieur des terres, le jeune État prend des dispositions pour préserver, protéger son indépendance. « C’est la décision la plus importante dès la fondation d’Haiti », soutient l’architecte de Monument Daniel Élie. Ce jeune État dont l’indépendance est considérée comme une subversion de tout l’imaginaire occidental, encore esclavagiste, a fait commerce, essayer d’exister, même sans reconnaissance diplomatique. Les USA, voit-on dans le film, ne voulaient pas qu’Haïti ait de flotte, qu’il reste incapable d’avoir les moyens pour trouver une meilleure place dans le commerce maritime. L’empereur, avec sa vision d’État fort, de mise au travail des populations pour pouvoir avoir des denrées à exporter, s’est achoppé au choix de beaucoup, dans la force de travail, à vivre reclus des villes, loin des installations de production. Ceux qui ont voulu avoir la terre, de grandes propriétés, pour obtenir le monopole de l’importation et de l’exportation ont pris de l’épaisseur. L’empereur n’a pas su gérer les contradictions. Les problèmes de classes, de castes, de peau, le jeu des puissances coloniales en Haïti prenaient peu à peu le dessus. Par rapport à la lutte pour le pouvoir économique, il n’a su trouver le point d’équilibre, contenir l’appétit des mulâtres de mettre la main sur toutes les terres. Il y a eu la vérification des titres de propriété. Les « motifs » pour assassiner Dessalines s’empilaient. À 48 ans, il tombe dans un guet-apens à Pont-Rouge. Il y est assassiné avec quelques fidèles. Boisrond Tonnerre, Étienne Mentor, eux aussi proches de Dessalines, sont tués en prison. Les assassins, dont des pères de la patrie, voit-on dans le film, ont cru bon d’écrire pour justifier ce qu’ils ont appelé une tyrannicide. Pendant 40 ans, « les assassins ont essayé d’effacer la mémoire de Dessalines ». Le projet de Dessalines de construire une indépendance collective était en avance sur son temps. Riche, le film bouscule, déstabilise des certitudes, conforte d’autres. Il est aussi et surtout dans l’exaltation, dans la compréhension des ratées originelles. Arnold Antonin assume son choix. Pour que le film soit crédible, il ne pouvait pas être que dans l’exaltation, dans l’angiographie. Nos aïeux n’étaient pas des anges. Ils étaient des hommes qui se sont révélés, dans des temps d’adversité, comme ces héros grecs. Pendant trois ans, Arnold Antonin, sans avoir les moyens, a accouché ce film. « Je tenais absolument à faire ce film. Il m’a permis de mieux saisir la personnalité de Dessalines et de son rôle », confie Antonin, après la projection en avant première, chez lui, dans les hauteurs de Pétion-Ville. « C’est Dessalines qui a donné son allure à ce pays. On l’a utilisé pour le meilleur et pour le pire », poursuit Arnold Antonin, soulignant que l’empereur était un « homme de son temps ». « On ne peut qu’être ébloui par ce personnage. C’est un personnage homérique », croit Arnold Antonin, qui donne rendez-vous au public le 23 février, à 4 heures p.m., au Karibe Convention Center pour la première de ce film dont le destin doit être le partage. Ici et ailleurs. En Haïti comme en France, au pays de Napoléon….
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Premier long-métrage sur Dessalines, héros de l'indépendance d'Haïti11 février 2022
Premier long-métrage sur Dessalines, héros de l'indépendance d'Haïti AlterPresse.org | Publié le 9 février 2022 Par Alyssa Goldstein Sepinwall, Professor and Graduate Studies Coordinator, History California State University San Marcos - CSUSM Le nouveau film d’Arnold Antonin, Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte, est un apport passionnant au cinéma d’Haïti et du monde. Antonin a ainsi réalisé le tout premier film haïtien de long-métrage sur la Révolution haïtienne et la guerre d’indépendance et le tout premier documentaire au monde sur Dessalines. A l’heure où les cinéastes haïtiens et étrangers s’intéressent de plus en plus à Toussaint Louverture, Antonin offre au public d’Haïti et d’ailleurs un regard complexe sur le père de l’indépendance haïtienne. Le film aligne une impressionnante brochette de professeurs et d’historiens haïtiens qui proposent une nouvelle mise en perspective de Dessalines pour le 21ème siècle. Il s’agit notamment de Pierre Buteau, Jean Casimir, Michèle Pierre-Louis, Jean Alix René, Bayyinah Bello, Vertus Saint-Louis, Jhon Picard Byron, Lesly Péan, Gaétan Mentor, Marc Ferl Morquette, Daniel Elie et d’autres. Le film d’Antonin place en résonance entre eux et avec le narratif du film ces intellectuels tout en les alternant avec des scènes d’archives et de fiction, mettant en scène des comédiens jouant Dessalines (Hollandy Desrosiers), Boirond Tonnerre ( Gaël Pressoir), Claire Heureuse (Esmeralda Milcé) ainsi que des illustrations et des animations novatrices. Le film offre également ces beaux panoramiques et ces vues aériennes auxquelles nous ont habitués les films d’Antonin tel que Ainsi parla la mer/Men sa Lanmè a di (2020). Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte, ce dernier film d’Antonin, s’appuie sur de solides sources historiques en combinaison avec de nouvelles appréciations de la vie et de l’héritage de Dessalines. Antonin rappelle que la Révolution haïtienne était l’une des trois grandes révolutions de son époque (après les États-Unis et la France) mais que les conservateurs étrangers ont cherché à l’effacer de l’Histoire, à cause de sa détermination de porter "jusqu’au bout les valeurs prônées par les autres" et de son combat pour la liberté, rendue inséparable de la lutte contre le racisme et l’esclavage. Le film traite de la révolution haïtienne et de la guerre d’indépendance, tout en focalisant sur Dessalines lui-même. En tant que spécialiste du cinéma haïtien et francophone, il y a plusieurs choses que je trouve significatives dans ce film, en plus d’être le tout premier long-métrage sur la Révolution haïtienne par un réalisateur haïtien. L’une est la lutte d’Antonin contre l’idée que Dessalines « a massacré les Blancs ». Comme l’expliquent plusieurs des intervenants, l’armée de Dessalines combattit l’ennemi, les Français, en leur rendant la pareille. Il n’a pas orchestré le massacre de tous les blancs. Les Polonais, les Prussiens et les soldats allemands qui ont déserté l’armée française et combattu aux côtés des Haïtiens ont été protégés par Dessalines, tout comme d’autres Blancs. Deuxièmement et le plus important, même si Dessalines est souvent diabolisé par les étrangers pour sa « brutalité », le film souligne que Napoléon, lui-même, était bien plus féroce ; son style de combat était caractérisé par des massacres dans toute l’Europe. Comme le souligne Pierre Buteau (président de la Société Haïtienne d’Histoire, de Géographie et de Géologie), les Français menaient une « guerre d’extermination » en Haïti ; Dessalines a compris qu’il devait anéantir ses ennemis ou risquer que tous les Haïtiens le soient . Troisièmement, plusieurs intervenants d’Antonin soulignent la modernité de la Constitution de Dessalines ainsi que son approche de la stratégie militaire. Là où certains universitaires étrangers ont parlé de l’armée de Napoléon affrontant une "armée d’anciens esclaves aux pieds nus", les intervenants soulignent dans le film la fine intelligence stratégique de Dessalines et son utilisation de la meilleure technologie militaire possible pour combattre les Français au même niveau. Antonin pointe également des lacunes et des évolutions dans les démarches de sauvegarde de la mémoire de Dessalines en Haïti. Au 21ème siècle, Dessalines est plus connu des Haïtiens que Toussaint Louverture, un sujet exploré dans les films récents de Maksaens Denis, Kendy Vérilus et Pierre Lucson-Bellegarde. Mais Antonin attire l’attention sur la façon dont les « assassins ont essayé d’effacer sa mémoire » pendant quarante ans après sa mort, alors même qu’une grande partie de la population continuait de le vénérer. Il est le seul révolutionnaire à devenir une divinité, un lwa dans le Panthéon vaudou. Opinion que ne partage pas un prêtre vodou, un hougan, dans le film. Antonin aime se faire contredire et faire en sorte que les intervenant se contredisent entre eux pour exposer différents points de vue, en créant ainsi une dialectique vivante dans le film. Antonin envisage les réappropriations successives de Dessalines, en 1843, en 1904, sous la dictature des Duvalier, puis à nouveau après l’année 2000. Il note qu’en ces années 2020, nous vivons un nouveau moment de réappropriation de Dessalines. Ces instrumentalisations ont parfois caché l’être humain qu’était Dessalines lui-même, amenant Antonin à vouloir offrir un portrait complexe de "ce méconnu à bien des égards", de "ce Spartacus victorieux". Un autre aspect fascinant du film : ce sont ces plans, au-delà de la célèbre Citadelle Laferrière de Henry Christophe, des fortifications créés plus tôt par Dessalines. La photographie aérienne, en combinaison avec de nouvelles recherches présentées par Daniel Elie et par Madsen Gachette de Marchand Dessalines, nous font découvrir comme un couronnement le vaste système de forts établi à travers le pays par Dessalines - dont la Citadelle, elle-même, faisait partie à l’origine. S’appuyant sur les contributions du professeur Bayyinah Bello, Antonin ne néglige pas l’épouse de Dessalines, Marie Claire Heureuse, ni Tante Toya, la femme qui l’a élevé et protégé dans sa jeunesse. Antonin met dans la bouche de Claire Heureuse un passage de Fénelon où elle dénonce l‘hypocrisie et le manque de sens moral des courtisans et des gens avides de pouvoir qui ne manquent pas dans notre monde d’aujourd’hui. Comme tous les films d’Antonin, Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte interroge l’histoire dans le cadre d’une réflexion sur l’Haïti contemporaine. « Si Dessalines n’était pas mort, comment serait le pays aujourd’hui ? » demande-t-il à Alix René. Antonin interviewe également Jean André Victor du MOPOD et il montre des images de manifestations de rues, mache pou lavi avec le buste de Dessalines juxtaposé au-dessus des marcheurs. Dans son effort d’essayer de comprendre les racines des conflits dans la société haïtienne qui ont commencé dès les premières années de l’Indépendance, Antonin se demande pourquoi les anciens amis et camarades de Dessalines l’ont trahi. Il y voit peut-être une partie d’une « crise d’orientation d’une société postcoloniale cherchant sa voie ». En fin de compte, expliquent le réalisateur et ses intervenants, Dessalines a coordonné avec succès l’effort titanesque pour vaincre les Français mais il n’a pas été en mesure de gérer les multiples fractures qui subsistaient dans la société haïtienne après 1804. Dans l’ensemble, le film d’Antonin est un incontournable pour quiconque s’intéresse au cinéma haïtien ou à la fondation de la nation haïtienne. Bien que j’espère que ce ne sera pas la dernière œuvre cinématographique sur Dessalines, c’est une première historique, après de nombreux efforts infructueux pour réaliser des films sur Dessalines aux États-Unis et ailleurs. J’ai beaucoup appris des nuances et des détails apportés par les intervenants d’Antonin ainsi que de la possibilité de voir, de manière concrète et spectaculaire, le système de fortifications que Dessalines a commencé à construire à travers le pays avant son assassinat. Antonin a raison de noter que « les enfants d’Haïti lui doivent une reconnaissance éternelle », comme le lui doivent de nombreux peuples à travers le monde. En effet, comme le montre clairement le film, en déclarant son indépendance vis-à-vis des Français bien avant les peuples colonisés d’ailleurs, Dessalines a établi le principe - valable plus que jamais aujourd’hui encore - selon lequel chaque nation, aussi petite soit-elle, doit être libre et capable de déterminer son propre avenir. Gessica Généus : «Freda, c'est Haïti, une terre de douleur et de traumatismes...»23 novembre 2021
Gessica Généus : «Freda, c'est Haïti, une terre de douleur et de traumatismes...» Le Figaro.fr | Publié le 13 octobre 2021 | 11:40 Par Olivier Delcroix INTERVIEW - La réalisatrice d'origine haïtienne, dont le premier film a été sélectionné à Cannes, revient sur les raisons pour lesquelles son long-métrage dresse une radiographie implacable des cancers qui rongent son pays natal. Elle a 35 ans et possède déjà un parcours incroyable. Gessica Généus a de l'énergie à revendre. Comédienne, romancière et réalisatrice née le 23 décembre 1985 à Port-au-Prince, la réalisatrice de Freda n'a pas encore totalement pris conscience de ce qui vient de lui arriver avec ce premier film, où elle met en scène le quotidien d'une famille haïtienne dans le Haïti d'aujourd'hui. Le film met en scène Esther et Freda, deux sœurs très proches qui habitent avec Janette, leur mère dévote, et leur petit frère dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Si Esther est la grande sœur, belle jeune femme destinée à rencontrer un riche mari qui pourra la mettre à l'abri du besoin, Freda se concentre sur ses études d'anthropologie à l'université d'Haïti. Figure matriarcale qui va bientôt révéler ses failles, la mère tient une épicerie sur la rue. C'est de cette modeste échoppe que l'héroïne assiste à la montée en puissance de la colère ambiante, celle du peuple haïtien tiraillé entre espoir et désespoir. En 2002, quand elle a entamé sa carrière en tant que comédienne, elle joue dans Barikad, un mélodrame réalisé par Richard Sénécal. L'engouement populaire la consacre rapidement «star du cinéma haïtien». Mais elle a des choses à dire, d'autres mots à mettre sur les maux de son pays. Après avoir décroché une bourse d'études en actorat à «Acting International», elle s'installe à Paris. Un producteur qui lui conseille alors de se faire la main sur les documentaires, elle réalise Douvan Jou ka leve en 2017. Un premier succès qui la décide à se lancer dans son premier long-métrage Freda... LE FIGARO. - Qu'est-ce qui vous a poussé à réaliser ce premier film ? Gessica GÉNÉUS. - Souvent, nous passons notre vie dans une frénésie du quotidien. La seule façon de regarder vraiment les choses, c'est en prenant de la distance. C'est ce que j'ai fait grâce à Freda. Mon film s'applique à faire une radiographie de cette société haïtienne traumatisée à la fois par les tremblements de terre et la gangrène corruptrice endémique du pouvoir en place. Qui est Freda, l'héroïne qui donne son nom au film? Freda, selon moi, c'est l'inspiration. Nous aspirons toutes à lui ressembler. Le personnage reste connecté à ses valeurs, fidèle à son héritage culturel, même si elle essaie de s'en extirper. Freda symbolise Haïti, une terre de douleurs et de traumatismes où les familles souffrent. C’est le lieu où mon peuple a vécu les pires choses. L'Haïtien d'aujourd'hui est une personne obligée de se recomposer sur une terre qui a vu disparaître ses ancêtres, qui a connu l'esclavage. Freda reste sur cette terre de douleur malgré tout, pour se battre et se reconstruire. Avez-vous fait une avant-première de votre film en Haïti? Oui. Une seule. Et les recettes de cette projection ont été distribuées à une organisation chargée d'aider les victimes du récent tremblement de terre. C'est là que j'ai rencontré des gens extrêmement attachés au personnage d'Esther. Alors que normalement, Haïti est un pays qui lynche ce genre de femmes. Pour quelles raisons? Parce que les Haïtiens se veulent un peuple moral. Ils possèdent une forme de moralité chrétienne complètement aberrante. En réalité, nous sommes dans une si grande précarité qu'il nous est impossible de suivre cette ligne directrice. Les Haïtiens se bercent d'illusions en préférant croire que leurs femmes sont des parangons de vertu qui attendent sagement l'homme idéal qu'elles épouseront. Dans ma famille par exemple, ma grande sœur ressemblait à Freda. Ma mère lui disait qu'elle devait travailler dur pour y arriver. Alors qu'avec moi, parce que j'étais belle selon elle, elle tenait un tout autre discours, me disant que je n'avais pas besoin de travailler pour m'en sortir. Ce discours vous a-t-il fait du mal? Oui. Même si ma mère aimait autant ma sœur que moi. En fait, dans le film, la beauté d'Esther est une prison. Ce riche sénateur qui va la loger et la nourrir, va en faire son esclave. C'est une femme encagée. J'ai plein d'amies comme ça, qui ne sont même plus capables de sortir de chez elle. Elles n'ont rien d'autre à faire que de fonder un foyer, faire le ménage et la cuisine. Elles ne peuvent même plus sortir. Leur vie est une cage dorée peut-être. Mais une cage. D'où vient ce nom de l'héroïne ? Dans la mythologie du vaudou, Freda est le nom d'une déesse, avec une partie plus sombre Dantor. Freda est la déesse maternelle, sensuelle, sexuelle, qui aime les hommes et qui aime jouir de la vie. Dantor est plutôt la protectrice des marginaux. C'est la guerrière enragée. Cette dualité existe dans mon personnage, incarnant ces deux facettes de la femme haïtienne. En prénommant mon héroïne Freda, je la rapproche d'une féminité plus lumineuse empreinte d'espoir. Le fiancé de Freda possède une maison dont les murs ont été en partie détruits par un tremblement de terre. Pourquoi ne cherche-t-il pas à reboucher les trous? Freda voudrait colmater les brèches, mais lui ne le veut pas. Chacun réagit différemment face au choc qu'il a subi. Certains veulent le dissimuler. D'autres veulent le regarder en face. C'est peut-être ces béances dans les murs de sa maison qui poussent ce jeune homme à partir, à quitter le pays. Il y a trop de fragilités en Haïti. Toutes ne peuvent pas être réparées. Vous avez fait des études d'architecture. Cela se voit notamment dans la manière dont vous filmez la boutique de la famille. Il s'agit toujours du même cadre, un cadre rassurant... Quand les choses ne sont pas alignées, cela me perturbe (Rires). Je suis née dans le chaos et j'ai un besoin constant d'ordre. Il me faut imposer cela dans les plans que je tourne me donnant l'illusion de contrôler ma vie. Pourquoi avez-vous décidé d'étudier l'architecture? Tout simplement parce qu'il n'y avait pas d'études de cinéma. On me refusait toujours les bourses d'études. Même si je n'avais pas les moyens, j'ai quand même voulu faire des études supérieures. À un moment donné, ma mère m'a dit : “Il faut que tu aies un plan B”. Quand j'ai pu m'inscrire pour un cycle de quatre ans en école d'architecture, je me suis dit que cela pourrait m'aider dans mon rapport à l'image, pour les décors. Hélas, je n'ai pas pu finir le cycle, car l'école s'est effondrée au cours de ma quatrième année. C'est à cette époque-là que j'ai enfin reçu une bourse de cinéma. Alors, je suis partie à Paris. D'où est venue votre envie de cinéma? En fait, le premier film que j'ai fait, je l'ai tourné en tant que comédienne. La seule chose que j'ai demandée, c'est si j'allais être payée ! J'avais 17 ans. C'était en Haïti. On avait encore des salles de cinéma. Ça allait, quoi. Le film s'appelait Barikad. Il racontait l'histoire d'un fils de bourgeois amoureux de la femme de ménage. J'ai pris énormément de plaisir à le faire. J'ai fait d'autres films, et de fil en aiguille, j'ai compris que l'on pouvait exprimer beaucoup de choses avec le cinéma. Mais plutôt en tant que réalisatrice et non en tant qu'actrice ! Je n'avais pas envie de passer ma vie à jouer des femmes de ménages. Comment êtes-vous passée du documentaire au long-métrage? Alors que j'étais étudiante à Paris, j'ai rencontré un producteur qui m'a conseillé de passer par le documentaire avant de me lancer dans la fiction. Il avait raison. Cela m'a pris deux ans. L'expérience s'est avérée difficile, car il ne fallait pas de mensonge. Et quand j'ai sorti ce documentaire sur Haïti, Le Jour se lèvera, la majeure partie du public n'a rien compris. Mais moi, j'ai compris que je n'avais plus peur de rien. Après mon séjour parisien, je suis donc retourné en Haïti où j'ai créé ma société de production et j'ai commencé à réaliser des portraits quinze minutes de personnalités haïtiennes. J'en ai fait une quinzaine. Que pensez-vous des films qui ont abordé Haïti avant Freda ? Souvent, les gens citent le film de zombie américain sorti à la fin des années 80, L'Emprise des Ténèbres de Wes Craven, qui s'inspirait d'un ouvrage sociologique The Serpent and the Rainbow de Wade Davis. Ou alors plus récemment, on a cité le film de Bertrand Bonello, Zombi Child, sorti en 2019... J'espère que mon film pourra peut-être changer la donne. Cet univers folklorique du vaudou, vous le mettez également en avant dans Freda , non? Pour moi, le rapport avec le vaudou est complètement différent, parce que chez nous il est partout. On le vit. Il est dans l'air. Le réduire à du folklore, me fait doucement rire. C'est beau, ça fait peur, mais c'est exagéré. Si on va en Haïti en utilisant cette perspective, on va avoir peur tout le temps. Notre peuple est à ce sujet un peu bipolaire, sur le plan culturel. Le jour il va à l'église et le soir, il assiste à une séance de vaudou. Avec Freda , n'êtes-vous pas devenu en quelque sorte le porte-voix d'Haïti. N'est-ce pas une charge trop lourde sur vos épaules? C'est vrai. D'autant que je l’ai fait sans en avoir l'intention. J’ai réalisé ce film parce que j'en avais besoin. C'était pour moi comme une nécessité intérieure. Après, ce sont un peu les Haïtiens qui ont décidé de faire de moi leur porte-parole... Personnellement, je veux rester capable de faire des films sur mon pays, en toute liberté. Quel est votre prochain projet? Mon nouveau film s'appelle Marie-Madeleine. J'ai envie d'aborder, toujours en Haïti, la manière dont nous gardons nos vices cachés. Le film haïtien «Freda» sélectionné pour les Oscars13 novembre 2021
Le film haïtien «Freda» sélectionné pour les Oscars RFI.fr | Publié le 12 novembre 2021 | 17:09 Dans une actualité plombée par la violence des gangs, la presse haïtienne parle «de bouffée d'air frais»! Le film «Freda» de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus poursuit son beau parcours. Apres avoir fait sensation cet été (2021) au festival de Cannes, dans la catégorie «Un certain regard», le long métrage est aujourd'hui sélectionné pour les Oscars 2022. « Freda » avait fait sensation, lors du 74ème festival du film de Cannes, cet été. D’abord parce que pour la première fois depuis 1993, un film venu d’Haïti figurait dans la sélection, mais aussi parce que le premier long métrage de Gessica Généus qui nous raconte une jeune femme qui lutte pour sa survie dans une capitale Port-au-Prince, faisait l’unanimité. Une belle aventure qui va donc se poursuivre à Los Angeles puisque l’on a appris, le jeudi 11 novembre 2021, que « Freda » représenterait Haïti aux Oscars, le 27 mars 2022. Une nouvelle qui ravit évidemment Gessica Généus, d'autant que le dossier de candidature a été soumis in extremis. « Ça été une course terrible », explique la réalisatrice qui se dit « encore sous le choc d’en arriver là » même si, précise t-elle, « la course aux Oscars est une longue bataille pour les petits films qui ne viennent pas des États-Unis ». « Freda », film 100% haïtien et féministe, qui montre et « répare » la réalité18 octobre 2021
« Freda », film 100% haïtien et féministe, qui montre et « répare » la réalité 20 minutes.fr | Publié le 16 octobre 2021 | 11:35 Par Dolores Bakèla REVELATION Gessica Généus, réalisatrice de 36 ans, a sorti « Freda », son premier long-métrage sélectionnée à Cannes. Une plongée dans une Haïti populaire, à travers une galerie de personnages bien campés Des larmes, des rires et des applaudissements nourris, après le générique de fin. Après avoir séduit au festival de Cannes, où il a été sélectionné dans la catégorie Un certain regard, Freda, le film de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus a été présenté à Paris dans deux salles devant un public conquis dont Jocelyne Beroard du groupe mythique Kassav', Harry Roselmack ou encore Audrey Pulvar. Cette fiction, qui se situe dans un Haïti contemporain, nous entraîne dans un quartier populaire, au sein d’une fratrie, dont deux sœurs Esther (Djanaïna François) et Freda, aux antipodes l’une de l’autre et liées par un amour indéfectible. Freda, jouée par Néhémie Bastien, attend le retour de Yeshua (Juancito Jean), son amoureux, parti se soigner à Saint-Domingue après une agression violente. Partir ou rester dans un pays meurtri, c’est l’un des axes de ce beau film, dont Gessica Généus a écrit le scénario, les dialogues, signe la réalisation et le co-produit. Un premier film 100 % haïtien Film 100 % haïtien, Freda met en scène différents lieux – la maison familiale, l’hôtel, la rue, la salle de classe d’une université, l’église – qui sont autant d’agoras pour discuter de la situation politique et sociale du pays. « Ce qui m’obsède, c’est l’humain mais aussi le haïtien car on partage énormément de douleurs, de traumas, de handicaps émotionnels à côté des richesses culturelles énormes. C’était essentiel de poser un miroir sur la situation et d’avoir ce film qui nous permette de nous regarder en face et je me place dans la conversation à un endroit qui n’est pas forcément confortable ». Le film est choral, sororal, une célébration de ses héroïnes cabossées mais debout, souvent invisibles. « Toutes ces femmes qui existent dans le film, j’ai grandi avec elle ; cet univers, c’est vraiment le mien. Ma mère, mes tantes se sont énormément impliquées dans les combats de ce pays et on a l’impression aujourd’hui que ça va de pire en pire, nous explique Gessica Généus. Il y en a qui le supportent très mal, comme ma mère. Elle a complètement sombré dans la maladie mentale, la schizophrénie, la dépression. On est nombreux à prendre la situation du pays sur nous. On n’est pas juste haïtien, on EST Haïti. » Un tournage éprouvant Déjà autrice d’un documentaire, où elle évoquait la maternité, la réalisatrice, qu’on a pu voir dans la fiction Toussaint Louverture avec Jimmy Jean-Louis et Aïssa Maïga en 2012, signe un film fort, à la trame simple, à l’inverse du contexte dans lequel il a été tourné en un peu moins d’un mois. « C’était une histoire de vie ou de mort. Les gens sortaient d’un confinement de trois mois pour des raisons politiques, la rue était agitée. Je n’avais pas le luxe de craquer, ni de me laisser intimider par les circonstances. Un jour perdu et tout pouvait s’écrouler », dit celle qui a vécu le tournage comme un « marathon », sur lequel des menaces diverses ont plané jusqu’au bout. Un film féministe ? Selon certains spectateurs, Freda occulterait la présence et le rôle des hommes. Or, ils crèvent l’écran par leur incapacité à être présents et investis dans leur foyer ou leur famille, par leur violence, leur manque de courage et d’empathie… Comme Moïse, le frère de Freda et d’Esther, centré sur son assiette et sa paire de baskets neuves, plutôt que l’aide au quotidien difficile. Et les femmes qui leur font face ne leur disent rien. « Je voulais montrer à quel point elles sont actrices de leur vie, même quand elles font les mauvais choix. » Un besoin de liberté farouche qui se confond avec la personnalité de la réalisatrice, qui veut explorer et refuse les postures et d’être étiquetée. « Bien sûr que les sociétés dans lesquelles nous évoluons nous cadrent, influent sur nos désirs, nos destins et que je me bats contre un système d’oppression et pour des lois qui nous protègent. Si dicter aux femmes comment elles doivent se comporter et quoi faire de leurs corps, c’est du féminisme, alors je ne le suis pas ». Jeannette, le personnage de la mère joué par Fabiola Rémy est en ce sens sublime de subtilité et de dureté. Certaines scènes sont inspirées de faits réels, mais la réalisatrice leur donne une autre fin. Le projet de Gessica Généus dans ce film, est aussi bien de balader un miroir informant sur le réel, que de permettre à la fiction de le corriger, de lui épargner ses duretés. Loin du chaos, le film haïtien "Freda" brille au Festival de Cannes19 juillet 2021
Loin du chaos, le film haïtien "Freda" brille au Festival de Cannes France24.com | Publié le 16 juillet 2021 | 09:49 L'assassinat du président Jovenel Moïse a donné une résonance particulière au superbe premier long-métrage de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus, "Freda", projeté en avant-première au Festival de Cannes. Auprès de France 24, elle revient sur le message qu'elle a souhaité transmettre, sur la situation politique dans le pays mais aussi sur la joie de voir un film haïtien sur la Croisette. Parfois, au Festival de Cannes, l'actualité fait écho aux films projetés dans les salles obscures. C'était le cas, en 2016, avec "Aquarius" de Kleber Mendonca Filhos. Ce film raconte l'histoire d'une sexagénaire luttant contre des promoteurs immobiliers qui essayent de la chasser de l’immeuble de caractère dont elle est la dernière habitante. Il avait été projeté peu après l'éviction du pouvoir de Dilma Rousseff. Le long-métrage était ainsi devenu un symbole de la résistance contre ce "coup d'État". Sur le tapis rouge, l'équipe du film était apparue, tout en stras et paillettes, mais avec des pancartes à la main affichant leur soutien à l'ancienne présidente. Cette année, alors que la situation en Haïti a refait la une des journaux après l'assassinat du président Jovenel Moïse, c'est le film haïtien "Freda", de la réalisatrice Gessica Généus, qui résonne particulièrement avec l'actualité. Mais sur le tapis rouge, pas de slogans politiques. L'équipe est apparue sourire aux lèvres, dansant sur le rythme d'un morceau d'afrobeat. Cette légèreté, mais aussi la colère, irradient du personnage principal du film, Freda, jouée par Néhémie Bastien. Cette étudiante, au grand sourire chaleureux et à l'esprit vif, vit avec sa mère, son frère et sa sœur dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Freda jongle entre ses cours, les tâches ménagères et la petite boutique familiale pendant que son frère, Moses, reste à la maison - quand il n'est pas en train de dilapider les économies familiales - et que sa petite sœur sort à droite à gauche à la recherche d'un petit ami. Une routine rythmée par les violentes manifestations de rue qui éclatent régulièrement dans la capitale haïtienne. "On ne court pas après la politique, c'est elle qui court après nous", explique un camarade de classe à Freda pendant l'un de leurs fréquents débats sur les tourments de leur pays. Et cette instabilité politique va rattraper l'étudiante. Lorsque son petit ami manque de se faire tuer dans son sommeil, il n'y a plus que deux possibilités : fuir le pays ensemble ou faire face à ce chaos. Ce premier film de Gessica Généus montre la résilience de ces femmes dans un pays gangrené par la violence, la corruption, et un passé colonial qui les a laissées avec des injonctions constantes à se blanchir la peau, à se lisser les cheveux ou encore supprimer leur accent créole… France 24 : La famille de Freda est-elle un microcosme des problèmes et des difficultés auxquels font face les Haïtiens, notamment les femmes ? Gessica Généus : L’idée était de faire comprendre le plus de choses possible tout en restant dans l’intimité de cette famille. J’ai été confrontée très jeune aux problèmes politiques, sans trop savoir que c’était là l’origine des déboires que je subissais. Souvent les gens ne réalisent pas le poids de la politique dans leur quotidien. Ils pensent à une malédiction ou à toutes sortes de choses, mais ils n’arrivent pas à réaliser, qu’en fait ,ce sont des choix, des décisions politiques qui les ont mis dans cet état là. Je voulais montrer comment le quotidien des gens est influencé par des décisions de membres du gouvernement qui sont très, très, loin d’eux. C’est ce qu’on vit quotidiennement. On se lève le matin et on ne peut pas sortir parce qu’il y a une manifestation, alors que la veille on était avec des amis et on rigolait. Ou alors on emmène son enfant à l’école à 7 h du matin et à 10 h on nous dit de venir le chercher parce qu’il y a du gaz lacrymogène partout, ou parce que quelqu’un vient de se faire assassiner ou kidnapper devant l’école. Ce n’est pas juste la criminalité, c’est l’absence d’un État de droit. Il n’y a pas de gouvernement qui prenne des décisions pour améliorer ton existence. Un personnage du film affirme, "On ne court pas après la politique, c’est la politique qui court après nous". Votre film parle de l'impossibilité de vivre une jeunesse apaisée. Personne ne veut être constamment dans le combat, dans la précarité. C’est éreintant, c’est insupportable d’être tout le temps en train de se battre pour le minimum. Là on parle de manger, simplement, de pouvoir se réveiller en paix sans avoir passé une nuit à entendre des tirs dans un quartier d’à côté. C’est un pays qui a 70 % de jeunes. Handicaper à ce point la jeunesse c'est hypothéquer l’avenir du pays. Et tout ceci est fait volontairement. Ils sont littéralement en train d’assassiner une génération et l’empêcher de croire qu’il sera possible d’améliorer les choses. Un thème semble revenir souvent, celui de la négation de l’histoire et de la culture haïtienne. La culture haïtienne est très présente et en même temps on est beaucoup dans le déni. On nous a appris que c’est à cause de certaines parties de cette culture que nous sommes moins acceptés. Quand toute notre vie on nous a dit que nous faisions partis des opprimés, des marginalisés, que nous n’aurions pas d’avenir parce que nous n'avions pas la bonne couleur de peau ou que nous ne venions pas de la bonne famille... À un moment on se dit qu’il faut se détacher de ça et faire ce qu'on peut pour se conformer à ce que les gens attendent de nous. Mais, notre culture est là, elle nous habite. On dit souvent que les Haïtiens sont 70 % catholiques, 70 % protestants et 100 % vaudou. Le vaudou est partout, on peut être dans le déni autant qu'on veut, mais c’est là, c’est présent et c’est fort. C’est un dilemme pour beaucoup d’Haïtiens : si tu vas dans le vaudou tu es le diable, tu n’iras pas au ciel, alors que déjà t’es en enfer en Haïti, c’est quand même hypothéquer deux avenirs. Donc souvent les gens se disent que s’il n’y a pas d’avenir ici, ils vont travailler pour l’avenir ailleurs. Mais ils deviennent complètement déchirés, ils essayent de se débarrasser du vaudou pour aller vers une autre culture. C’est ça qui crée la schizophrénie, la bipolarité culturelle, qui parfois va jusqu’à l’expression d’une folie. Vous portez un regard empli d’empathie et de tendresse sur les personnages, je pense à celui de la mère de Freda notamment. Peut-on dire qu’elle incarne la tragédie d’un pays qui n’a pas su protéger ses enfants ? C’est exactement ça, être écartelé entre le besoin de protéger et le besoin de survie, et faire des choix parfois extrêmement douloureux vers la survie, sans se rendre compte que les traumas qu’on laisse exister, on continue à les porter tout le long. Et des fois, ce sont ces traumas qui deviennent des handicaps et qui nous empêchent de grandir pleinement comme une nation. À un moment, il va falloir qu’on regarde cette mère en face, la mère du film et la mère patrie, et se dire qu’est-ce qu’on accepte d’elle et qu’est-ce qu’on n'accepte pas, et qu’est-ce qu’il faut éradiquer parce qu’on ne veut pas que les générations futures subissent ça. "Freda" est aussi, en très grande partie, une histoire de courage et de résilience des femmes. Est-ce aussi un film d'espoir ? Absolument. Les gens se disent que l’espoir, ils veulent l’avoir tout de suite, concrètement. Dans le sens où soudainement un héros vient nous sauver, ou un leader politique surgit de nulle part. Mais des fois l’espoir, c’est aussi tout simplement de réaliser qu’on est là, qu’on est vivant, qu’il y a encore de l’espace pour créer cet avenir que l’on souhaite. C’est sûr que ça demande une énergie que, des fois on n'a pas, parce qu’on est épuisés par cette quête quotidienne de survie. Mais on est toujours là. Le festival a été rattrapé par l’actualité tragique de l’assassinat du président haïtien, Jovenel Moïse. Comment l’avez-vous vécu ? J’étais en colère, parce que ça fait tellement longtemps qu’on crie au secours. Deux jours avant sa mort, plusieurs personnes ont été assassinées dans un quartier populaire de Port-au-Prince, dont un militant très connu. Il n’y a pas eu un mot pour lui. Pourquoi ce silence, ce déni ? On dit souvent, tant que ça reste dans les quartiers populaires, ça ne me regarde pas. Mais à un moment donné, ça va frapper à ta porte. Et ça m’a mise en colère qu’il [Jovenel Moïse] n’ait pas su protéger non seulement son peuple, mais sa propre famille aussi. J’étais déjà au Festival quand c’est arrivé, j’ai pensé à mes amis qui peuvent être encore plus en danger, parce qu’on ne sait pas d’où vient cet assassinat. Peut-être qu’ils vont vouloir tuer d’autres gens, profiter de ce chaos pour faire une razzia. Tout cela génère encore plus d’insécurité émotionnelle. En dehors de cette actualité tragique, comment se passe votre festival et quel est le ressenti en Haïti ? Les gens sont contents que nous soyons là, ils peuvent vivre ça à travers nous. Ça fait du bien aussi qu’on parle différemment d’Haïti dans les médias. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai vu un article sur Haïti qui était positif. On dirait que notre vie est une succession de catastrophes et de troubles politiques. Pour une fois, avec "Freda" et toute l’équipe qui est là, on ose parler de nous. On vit pleinement les choses, comme hier sur le tapis rouge. On se démène pour trouver l'énergie malgré tout pour rester dans cette positivité. Une première à Cannes il faut la fêter, la vivre pleinement. On l’a fait nous ici, ils l’ont fait avec nous en Haïti. On envoie des photos, des vidéos, les gens s’en nourrissent et nous suivent pas à pas dans ce festival. "Exterminez tous les sauvages" - Nouveau chef-d'oeuvre de Raoul Peck5 mai 2021
"Exterminez tous les sauvages" - Nouveau chef-d'oeuvre de Raoul Peck Drame.org | Publié le 13 avril 2021 Par Jean-Jacques Birgé Après I Am Not Your Negro et Le jeune Karl Marx, le cinéaste haïtien Raoul Peck n'avait pas d'autre choix que l'excellence. C'est aussi ce que ses parents lui apprirent s'il voulait vivre la tête haute dans ce monde de haine et de violence. Si son nouveau documentaire en 4 parties, Exterminate all the brutes (traduire "exterminez tous les sauvages"), s'adresse à tous et toutes, et à notre humanité dévoyée, sa charge concerne particulièrement les États Unis d'Amérique, bâtis sur un génocide qui n'est toujours pas reconnu, et sur l'esclavage dont l'héritage marque toujours l'actualité. Après quatre heures exceptionnelles d'intelligence et de sensibilité, de maîtrise cinématographique aussi, Raoul Peck répète que le problème n’est pas le manque de connaissance, mais le courage d'admettre ce que tout le monde sait. Il rappelle en trois mots les fondements de la suprématie blanche : civilisation, colonisation, extermination. Alors qui sommes-nous ? Pour que le génocide commis par les nazis soit rendu possible, il avait fallu s'appuyer sur ce qui l'avait précédé. L'Histoire qu'on nous enseigne est racontée à l'envers. Les terres n'étaient pas vierges, elles étaient habitées. Depuis 500 ans, les Européens ont assassiné pour voler. Les deux Amériques ont été nettoyées de leurs occupants, l'Afrique exploitée, transformant même les humains en marchandise. J'ai toujours pensé que tant que les "Américains" ne reconnaîtraient pas le crime contre l'humanité sur lequel ils ont fabriqué leur pseudo démocratie, la violence serait leur quotidien. Et partout sur la planète nous continuons à fermer les yeux sur les crimes de masse. Comme le suggérait Jean Cayrol en 1955 à la fin de Nuit et brouillard d'Alain Resnais, "[nous] feignons de croire que tout cela est d'un seul temps et d'un seul pays, et qui ne pensons pas à regarder autour de nous, et qui n'entendons pas qu'on crie sans fin.". Le film de Raoul Peck a la même force. Le réalisateur rappelle la spoliation des terres indiennes, crimes organisés par le gouvernement américain, le génocide des Héréros par les Allemands en 1904, et il revient sur le Vietnam, le Rwanda, la Tchétchénie, et son "shithole country", Haïti qui fut le premier pays au monde issu d'une révolte d'esclaves et dont la révolution est systématiquement minimisée alors qu'elle fut à l'origine de l'affranchissement de toute l'Amérique du Sud. Ce n'est pas parce que la haine raciale est à la base de la civilisation que l'on doit faire la sourde oreille et rester les bras croisés. Pour Raoul Peck, la neutralité n'est pas une option. Pour mettre en scène son film, montage d'archives, d'extraits de blockbusters qui impriment notre inconscient, d’animations éloquentes, de reconstitutions historiques (tournées dans le parc du château de Chambly, dans le hameau d’Amblaincourt !) où le comédien Josh Hartnett joue l’homme blanc maléfique, Raoul Peck dessine une fresque épique où la poésie de la nature (déjà présente dans Le profit et rien d'autre que j'avais adoré) évite le didactisme balourd de maint documentaire. Là où le documentariste anglais Adam Curtis profite d'une équipe de documentalistes zélés pour étayer ses démonstrations sur la manipulation de l'information, Raoul Peck préfère jouer sur la dialectique, lecture plus romantique aussi, en insérant des plans paysagers, en filmant des bouts de fiction et en révélant son propre parcours de l'enfance jusqu'à la réalisation de ses précédents films. Les quatre parties d'une heure, The Disturbing Confidence of Ignorance, Who the F*** is Columbus, Killing at a Distance or … How I Thoroughly Enjoyed the Outing, The Bright Colors of Fascism, sont des évocations palpitantes. Raoul Peck s'appuie sur le travail de l’historien suédois Sven Lindqvist, qui avait publié Exterminate All the Brutes (traduit "Exterminez toutes ces brutes") où, traversant en bus le Sahara, il étudie le contexte colonial dans lequel Joseph Conrad a rédigé le roman Au cœur des ténèbres (ce livre est emblématique du livre de Lindqvist et du film de Peck dont le titre vient de paroles prononcées par le personnage Kurtz devenu fou dans l’enfer colonial du Congo), il fait un lien entre l'impérialisme, en particulier britannique de la fin du XIXe siècle, et le génocide juif ; de l’historienne américaine Roxanne Dunbar-Ortiz, auteure d’An Indigenous People’s History of the United States (34 ans après Une histoire populaire des États Unis de Howard Zinn) ; et de l’anthropologue haïtien Michel-Rolph Trouillot, auteur de Silencing the Past – Power and the Production of History. Déjà diffusé aux USA et en Grande-Bretagne, le film sortira fin 2021 sur Arte, probablement dans une version française. Raoul Peck (ministre de la Culture de la République d'Haïti de 1995 à 1997, et président de la Fémis de 2010 à 2018), dit ici le commentaire, mais il avait choisi Samuel L. Jackson pour la version originale de I Am Not Your Negro et Joey Starr pour la version française ! Sur le site que HBO a mis en ligne, le cinéaste livre tout un tas de précieuses références littéraires et cinématographiques ainsi que des documents en PDF. Zombi Child, dernier film du cinéaste francais, Bertrand Bonello @Harry and Mildred Remis Auditorium (Auditorium 161) | Museum of Fine Arts , 465 Huntington Ave, Boston MA 021155 février 2020
Zombi Child, dernier film du cinéaste francais, Bertrand Bonello @Harry and Mildred Remis Auditorium (Auditorium 161) | Museum of Fine Arts , 465 Huntington Ave, Boston MA 02115 Du vendredi 21 février 2020 au dimanche 1er mars 2020 Traduit de l'anglais par la Rédaction du Blog d'Edwidge- Pour prendre vos billets, cliquer sur ce lien: https://www.mfa.org/event/film/zombi-child?event=57356 Le cinéaste de renommée internationale Bertrand Bonello, qui dirige le film, Zombi Child, examine les relations coloniales entre la France et Haïti et la question du patrimoine dans le monde postcolonial en présentant deux histoires parallèles, celle du «zombi» haïtien Clairvius Narcisse en 1962, et celle d'une jeune fille d'origine haïtienne fréquentant le prestigieux internat de la Légion d'honneur dans la France moderne. Oscillant entre la comédie dramatique pour contemporains, le film d'horreur et la critique sociale, Zombi Child nous est présenté sur fond d'une musique luxuriante et larmoyante composée par Bonello lui-même, et comprend principalement des acteurs non professionnels qui ont été castés pour ajouter du réalisme et de la contemporanéité aux scènes contemporanénnes du film. Réalisé par Bertrand Bonello (France, 2019, 103 min.). Français, haïtien et anglais avec sous-titres anglais. En 1962, un homme est ramené d'entre les morts pour être envoyé dans l'enfer vivant des champs de canne à sucre haïtiens. A Paris, 55 ans plus tard, au prestigieux internat de la Légion d’honneur, une Haïtienne avoue un vieux secret de famille à de nouveaux amis aux conséquences impensables. Dernier né du maître français, Bertrand Bonello (Saint Laurent, Nocturama), Zombi Child est une nouvelle interprétation «audacieuse et rusée» (Little White Lies) des tropes d'horreur classiques qui «pose des questions opportunes et provocantes ... un drame qui n'est pas mort-vivant mais plutôt vivant. "(Screen Daily). 25 juin 2015
«Meurtre à Pacot», de Raoul Peck - Lutte des classes sanglante en Haïti L'Humanité.fr | Publié le jeudi 25 juin 2015 Par Caroline Constant C’est une demeure bourgeoise. Avant le tremblement de terre du 12 janvier 2010, en Haïti, elle devait être majestueuse. Mais là, quelques jours après le drame, elle est lézardée de partout. Une femme (la chanteuse Ayo) creuse le sol à mains nues, en sanglotant. Son mari (Alex Descas) lui parle rudement, avec du mépris dans le regard et dans la voix : ce qu’elle tente de retrouver n’a aucune importance à ses yeux. Et pour cause : il s’agit du cadavre de l’enfant que ce couple de bourgeois haïtiens avait « adopté », de manière illégale. La femme pleure. Sur sa maison ruinée ? Son domestique parti ? Ou sur la mort du gamin, dont seule l’odeur de décomposition rappelle qu’il fut vivant ? Pour éviter la démolition de la maison, l’homme accepte de réaliser des travaux, et de louer un étage. C’est un jeune couple qui arrive : lui, Alex (Thibault Vinçon), passe pour un humanitaire. Au final, c’est un charognard, un sale type qui tente de profiter de la situation d’urgence pour se remplir les poches. Elle, c’est sa maîtresse (Lovely Kermonde Fifi). Cette fille pauvre porte un très joli prénom, Andrémise. Mais elle veut changer pour Jennifer. Elle veut surtout partir loin de « cette merde », comme elle dit. Loin de la pauvreté, du pays ravagé, de sa famille et des siens. Pour y parvenir, elle couche. Son corps est une arme de combat. Parfois dure, Andrémise est aussi la seule capable de compassion et d’un minimum d’écoute, dans cette maison ravagée par les regrets et les remords. L’arrivée de cette fille du peuple, pleine de vie et d’envies, déstabilise toute la maison. Elle va se mettre un à un les occupants dans la poche. Avant que, devant ses exigences, le réflexe de classe de chacun reprenne le dessus. Cette fiction signée Raoul Peck est un huis clos étouffant. La maison ravagée est quasi coupée du monde réel, où des habitants déblaient les rues. Raoul Peck veut montrer à quel point les rapports dominants/dominés sont à l’œuvre, y compris dans une société qui s’écroule : les maîtres demeurent les maîtres, même s’ils sont temporellement à terre. Un individu seul se fait broyer face à eux. C’est terriblement noir. Et effroyablement efficace. 23 juin 2015
Charlize Theron et Sean Penn : la raison de leur rupture Gala.fr | Publié le vendredi 19 juin 2015 Mais quelle mouche les a donc piqués ? On les avait quittés roucoulant sur la Croisette, nous balançant leur bonheur au visage à longueur d’interviews, avec une conviction telle qu’ils en devenaient presque agaçants… quand voilà que : paf. Ascenseur émotionnel. Moins de quatre semaines plus tard, chacun aurait repris ses billes sans autre forme de procès. Forcément, se dit-on, il y une raison. Une raison objective, rationnelle et tout à fait légitime de mettre un terme à cette si jolie love-story. Forcément, il y a eu déception, désillusion, pour faire une croix sur cette romance qui, nous assurait encore l’actrice il y a un mois, rendait « leurs vies meilleures ». Forcément. D’après les informations filtrant peu à peu du côté des proches du couple, le naturel séducteur de Sean Penn serait revenu au galop. L’acteur, bien que très épris, n’aurait pas résisté à ses pulsions et trahi sa belle. Selon le National Enquirer en effet, la star aurait allègrement firté avec une certaine Fleur Van Eeder, jolie blonde de 30 ans rencontrée sur le tournage de son dernier film, The Last Face. Selon la jeune femme elle-même, Mister Penn aurait profité de quelques jours d’absence de Charlize pour lui jouer la sérénade en lui lisant des poèmes «pendant plusieurs nuits d’affilée» jusqu’à ce qu’elle succombe à ses charmes. Une nouvelle qui, revenue aux oreilles de la Sud-africaine, aurait provoqué leur brutale séparation. Il faut dire que le comédien est coutumier du fait. Marié à Robin Wright durant vingt ans, il l’avait trompée à plusieurs reprises avec de sublimes slaves aux amours tarifées et même été surpris par Madame au lit avec deux prostituées russes. Madonna, avec qui il a également été marié de 1985 à 1989, aurait subi la même mésaventure. On ne change pas un homme ? Charlize s’est efforcée de croire le contraire, depuis leur coup de foudre il y a deux ans. « Je suis extrêmement chanceuse d’avoir enfin rencontré l’homme de ma vie », se réjouissait-elle encore ainsi le mois dernier, préférant s’accrocher à l’idée que ce prince charmant, fou d’amour pour elle, prêt à l’épouser (ils se sont fiancés en novembre 2014) et à adopter son fils Jackson (3 ans) ne prendrait pas le risque de tout perdre pour une escapade. C’était tout à son honneur, mais Sean n’en aurait pas été digne. Comment, dans ces circonstances, imaginer qu’ils puissent traverser ensemble l’épreuve du temps ? Charlize n’y croit plus. Et ne souhaite exposer, ni son fiston, ni elle-même à une vie d’incertitudes auprès d’un homme indomptable. La sentence est tombée, et semble irrévocable… |
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