Haïti - Cinéma. Le Dessalines d'Arnold Antonin16 février 2022
Haïti - Cinéma. Le Dessalines d'Arnold Antonin Le Nouvelliste.com | Publié le 15 février 2022 Par Roberson Alphonse Une chevauchée dans un cimetière. Un cri, une annonce: « Dessalines est ressuscité » ! L’empereur laisse les résidents du pays sans chapeau. Il est là, au bas de la ville. Le travelling plante l’empereur dans l’actualité des rues de Port-au-Prince, la capitale d’Haïti, puis au boulevard qui porte son nom. Le boulevard Jean-Jacques Dessalines est crasseux, défoncé, bordé de terrains vagues et de ruines de maisons effondrées lors du séisme du 12 janvier 2010. Les images glissent sur fond d’un rap, la bande originale (BO). Nesmy, avec l’énergie d’un 50 Cents, s’approprie les mots de l’illustre Félix Morisseau Leroy : « Mèsi Papa Dessalines. » Il y a l’hommage, la reconnaissance mais un début d’interpellation. Le contraste est total. Saisissant. Les premières des 94 minutes de « Dessalines : le vainqueur de Napoléon », un documentaire d'Arnold Antonin, déstabilisent. Les séquences happent, interpellent, confortent ensuite le jugement. Le nôtre. Nous, Haïtiens, Haïtiennes, sur notre gestion du legs de l’empereur. Si Dessalines savait ce qui se passe aujourd’hui, il sommeillerait encore dans la poussière, lâche une voix off, comme pour enfoncer le clou de nos manquements face à Papa Dessalines, le chef militaire de la révolution haïtienne, la seule, intervenue bien après les révolutions américaine et française, à avoir proclamé l’égalité de tous les êtres, la liberté pour tous les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau… « … J’ai tout sacrifié pour voler à ta défense… », dit le personnage de Dessalines lui-même. D’autres images défilent. Elles interrogent les héritiers mais font plus. Elles proposent la découverte ou la redécouverte de Dessalines dans toutes ses aspérités. Ses parts d’ombre et de lumière, son parcours d’esclave, de lieutenant de Toussaint Louverture, son génie militaire. L’homme, le bon vivant, ses lits, les enfants qui y sont conçus, le danseur, l’époux, le chef d’État, sa vision politique, sa conception de la question de couleur, son projet économique, son assassinat le 17 octobre 1806, et l’infamie dans l’infamie le black-out mémoriel de 40 ans... La proposition est copieuse. Riche. Dessalines, le chef militaire et pas que Le chef militaire de génie, fin stratège, capable de gérer les contradictions au sein de la colonie où vivaient les bossales, les créoles, les affranchis, les mulâtres, les petits Blancs et les Blancs, les grands planteurs, est campé par Arnold Antonin, avec la contribution d’historiens, d’architectes de monuments, d’intellectuels, dont Pierre Buteau, Jean Casimir, Michèle Duvivier Pierre-Louis, Jean Alix René, Bayyinah Bello, Vertus Saint-Louis, John Picard Byron, Lesly Péan, Gaétan Mentor, Marc- Ferl Morquette, Daniel Élie... La victoire décisive à Vertières, le 18 novembre 1803 face aux milliers d’hommes de Rochambeau, les batailles à la Crête-à-Pierrot, à Port-au-Prince, Croix-des-Bouquets sont contées. Jean-Jacques Dessalines, général en chef de l’armée indigène unifiée sous son commandement après la réunion avec Geffrard au camp Gérard, dans le Sud, s’est inspiré de son adversaire, Napoléon qui mène des « guerres d’extermination ». Sous ses ordres, Capoix, Christophe se sont illustrés, hissés au panthéon des grands guerriers ayant vécu sous le soleil de Dieu. La narration de Pierre Brisson, impeccable et sobre, laisse passer quelques frissons, à l’évocation de tant de sacrifices pour posséder cette terre qui a bu le sang de tant de nos aïeux, portés par un idéal de liberté contre Napoléon, incarnation de l’oppression, de l’asservissement, de l’esclavage, forme aboutie de déshumanisation. Sacré empereur, deux mois avant Napoléon, Jean-Jacques Dessalines, devenu Jacques 1er, assume la monarchie. Il boit la passion révolutionnaire de Boisrond Tonnerre, incandescent, foudroyant dans sa rédaction de la déclaration de l’indépendance. Avant la rédaction de la Constitution de 1805 dans laquelle « le moi » de Dessalines prend toute la place, sans sacrifier, voit-on dans le film, « l’éblouissante modernité » qui transpire du texte. Les Haïtiens sont connus sous la dénomination de « noir ». Les ministres sont responsables de leurs actes. Les couleurs nationales sont le noir et le rouge. Le chef militaire ayant à charge de conduire le jeune État dispose de cette Constitution qui tient en alerte le pays, appelé à se mettre debout au premier coup de canon. Les images aériennes de Marchand-Dessalines, la première capitale, sa ceinture de fortification aujourd’hui en ruines renseignent sur la stratégie défensive consistant à ériger des places fortes, des forts à l’intérieur des terres. Fort Drouet, la Citadelle, le fort des Platon, entre autres. Au nord, au sud, à l’intérieur des terres, le jeune État prend des dispositions pour préserver, protéger son indépendance. « C’est la décision la plus importante dès la fondation d’Haiti », soutient l’architecte de Monument Daniel Élie. Ce jeune État dont l’indépendance est considérée comme une subversion de tout l’imaginaire occidental, encore esclavagiste, a fait commerce, essayer d’exister, même sans reconnaissance diplomatique. Les USA, voit-on dans le film, ne voulaient pas qu’Haïti ait de flotte, qu’il reste incapable d’avoir les moyens pour trouver une meilleure place dans le commerce maritime. L’empereur, avec sa vision d’État fort, de mise au travail des populations pour pouvoir avoir des denrées à exporter, s’est achoppé au choix de beaucoup, dans la force de travail, à vivre reclus des villes, loin des installations de production. Ceux qui ont voulu avoir la terre, de grandes propriétés, pour obtenir le monopole de l’importation et de l’exportation ont pris de l’épaisseur. L’empereur n’a pas su gérer les contradictions. Les problèmes de classes, de castes, de peau, le jeu des puissances coloniales en Haïti prenaient peu à peu le dessus. Par rapport à la lutte pour le pouvoir économique, il n’a su trouver le point d’équilibre, contenir l’appétit des mulâtres de mettre la main sur toutes les terres. Il y a eu la vérification des titres de propriété. Les « motifs » pour assassiner Dessalines s’empilaient. À 48 ans, il tombe dans un guet-apens à Pont-Rouge. Il y est assassiné avec quelques fidèles. Boisrond Tonnerre, Étienne Mentor, eux aussi proches de Dessalines, sont tués en prison. Les assassins, dont des pères de la patrie, voit-on dans le film, ont cru bon d’écrire pour justifier ce qu’ils ont appelé une tyrannicide. Pendant 40 ans, « les assassins ont essayé d’effacer la mémoire de Dessalines ». Le projet de Dessalines de construire une indépendance collective était en avance sur son temps. Riche, le film bouscule, déstabilise des certitudes, conforte d’autres. Il est aussi et surtout dans l’exaltation, dans la compréhension des ratées originelles. Arnold Antonin assume son choix. Pour que le film soit crédible, il ne pouvait pas être que dans l’exaltation, dans l’angiographie. Nos aïeux n’étaient pas des anges. Ils étaient des hommes qui se sont révélés, dans des temps d’adversité, comme ces héros grecs. Pendant trois ans, Arnold Antonin, sans avoir les moyens, a accouché ce film. « Je tenais absolument à faire ce film. Il m’a permis de mieux saisir la personnalité de Dessalines et de son rôle », confie Antonin, après la projection en avant première, chez lui, dans les hauteurs de Pétion-Ville. « C’est Dessalines qui a donné son allure à ce pays. On l’a utilisé pour le meilleur et pour le pire », poursuit Arnold Antonin, soulignant que l’empereur était un « homme de son temps ». « On ne peut qu’être ébloui par ce personnage. C’est un personnage homérique », croit Arnold Antonin, qui donne rendez-vous au public le 23 février, à 4 heures p.m., au Karibe Convention Center pour la première de ce film dont le destin doit être le partage. Ici et ailleurs. En Haïti comme en France, au pays de Napoléon….
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Premier long-métrage sur Dessalines, héros de l'indépendance d'Haïti11 février 2022
Premier long-métrage sur Dessalines, héros de l'indépendance d'Haïti AlterPresse.org | Publié le 9 février 2022 Par Alyssa Goldstein Sepinwall, Professor and Graduate Studies Coordinator, History California State University San Marcos - CSUSM Le nouveau film d’Arnold Antonin, Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte, est un apport passionnant au cinéma d’Haïti et du monde. Antonin a ainsi réalisé le tout premier film haïtien de long-métrage sur la Révolution haïtienne et la guerre d’indépendance et le tout premier documentaire au monde sur Dessalines. A l’heure où les cinéastes haïtiens et étrangers s’intéressent de plus en plus à Toussaint Louverture, Antonin offre au public d’Haïti et d’ailleurs un regard complexe sur le père de l’indépendance haïtienne. Le film aligne une impressionnante brochette de professeurs et d’historiens haïtiens qui proposent une nouvelle mise en perspective de Dessalines pour le 21ème siècle. Il s’agit notamment de Pierre Buteau, Jean Casimir, Michèle Pierre-Louis, Jean Alix René, Bayyinah Bello, Vertus Saint-Louis, Jhon Picard Byron, Lesly Péan, Gaétan Mentor, Marc Ferl Morquette, Daniel Elie et d’autres. Le film d’Antonin place en résonance entre eux et avec le narratif du film ces intellectuels tout en les alternant avec des scènes d’archives et de fiction, mettant en scène des comédiens jouant Dessalines (Hollandy Desrosiers), Boirond Tonnerre ( Gaël Pressoir), Claire Heureuse (Esmeralda Milcé) ainsi que des illustrations et des animations novatrices. Le film offre également ces beaux panoramiques et ces vues aériennes auxquelles nous ont habitués les films d’Antonin tel que Ainsi parla la mer/Men sa Lanmè a di (2020). Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte, ce dernier film d’Antonin, s’appuie sur de solides sources historiques en combinaison avec de nouvelles appréciations de la vie et de l’héritage de Dessalines. Antonin rappelle que la Révolution haïtienne était l’une des trois grandes révolutions de son époque (après les États-Unis et la France) mais que les conservateurs étrangers ont cherché à l’effacer de l’Histoire, à cause de sa détermination de porter "jusqu’au bout les valeurs prônées par les autres" et de son combat pour la liberté, rendue inséparable de la lutte contre le racisme et l’esclavage. Le film traite de la révolution haïtienne et de la guerre d’indépendance, tout en focalisant sur Dessalines lui-même. En tant que spécialiste du cinéma haïtien et francophone, il y a plusieurs choses que je trouve significatives dans ce film, en plus d’être le tout premier long-métrage sur la Révolution haïtienne par un réalisateur haïtien. L’une est la lutte d’Antonin contre l’idée que Dessalines « a massacré les Blancs ». Comme l’expliquent plusieurs des intervenants, l’armée de Dessalines combattit l’ennemi, les Français, en leur rendant la pareille. Il n’a pas orchestré le massacre de tous les blancs. Les Polonais, les Prussiens et les soldats allemands qui ont déserté l’armée française et combattu aux côtés des Haïtiens ont été protégés par Dessalines, tout comme d’autres Blancs. Deuxièmement et le plus important, même si Dessalines est souvent diabolisé par les étrangers pour sa « brutalité », le film souligne que Napoléon, lui-même, était bien plus féroce ; son style de combat était caractérisé par des massacres dans toute l’Europe. Comme le souligne Pierre Buteau (président de la Société Haïtienne d’Histoire, de Géographie et de Géologie), les Français menaient une « guerre d’extermination » en Haïti ; Dessalines a compris qu’il devait anéantir ses ennemis ou risquer que tous les Haïtiens le soient . Troisièmement, plusieurs intervenants d’Antonin soulignent la modernité de la Constitution de Dessalines ainsi que son approche de la stratégie militaire. Là où certains universitaires étrangers ont parlé de l’armée de Napoléon affrontant une "armée d’anciens esclaves aux pieds nus", les intervenants soulignent dans le film la fine intelligence stratégique de Dessalines et son utilisation de la meilleure technologie militaire possible pour combattre les Français au même niveau. Antonin pointe également des lacunes et des évolutions dans les démarches de sauvegarde de la mémoire de Dessalines en Haïti. Au 21ème siècle, Dessalines est plus connu des Haïtiens que Toussaint Louverture, un sujet exploré dans les films récents de Maksaens Denis, Kendy Vérilus et Pierre Lucson-Bellegarde. Mais Antonin attire l’attention sur la façon dont les « assassins ont essayé d’effacer sa mémoire » pendant quarante ans après sa mort, alors même qu’une grande partie de la population continuait de le vénérer. Il est le seul révolutionnaire à devenir une divinité, un lwa dans le Panthéon vaudou. Opinion que ne partage pas un prêtre vodou, un hougan, dans le film. Antonin aime se faire contredire et faire en sorte que les intervenant se contredisent entre eux pour exposer différents points de vue, en créant ainsi une dialectique vivante dans le film. Antonin envisage les réappropriations successives de Dessalines, en 1843, en 1904, sous la dictature des Duvalier, puis à nouveau après l’année 2000. Il note qu’en ces années 2020, nous vivons un nouveau moment de réappropriation de Dessalines. Ces instrumentalisations ont parfois caché l’être humain qu’était Dessalines lui-même, amenant Antonin à vouloir offrir un portrait complexe de "ce méconnu à bien des égards", de "ce Spartacus victorieux". Un autre aspect fascinant du film : ce sont ces plans, au-delà de la célèbre Citadelle Laferrière de Henry Christophe, des fortifications créés plus tôt par Dessalines. La photographie aérienne, en combinaison avec de nouvelles recherches présentées par Daniel Elie et par Madsen Gachette de Marchand Dessalines, nous font découvrir comme un couronnement le vaste système de forts établi à travers le pays par Dessalines - dont la Citadelle, elle-même, faisait partie à l’origine. S’appuyant sur les contributions du professeur Bayyinah Bello, Antonin ne néglige pas l’épouse de Dessalines, Marie Claire Heureuse, ni Tante Toya, la femme qui l’a élevé et protégé dans sa jeunesse. Antonin met dans la bouche de Claire Heureuse un passage de Fénelon où elle dénonce l‘hypocrisie et le manque de sens moral des courtisans et des gens avides de pouvoir qui ne manquent pas dans notre monde d’aujourd’hui. Comme tous les films d’Antonin, Jean-Jacques Dessalines, le vainqueur de Napoléon Bonaparte interroge l’histoire dans le cadre d’une réflexion sur l’Haïti contemporaine. « Si Dessalines n’était pas mort, comment serait le pays aujourd’hui ? » demande-t-il à Alix René. Antonin interviewe également Jean André Victor du MOPOD et il montre des images de manifestations de rues, mache pou lavi avec le buste de Dessalines juxtaposé au-dessus des marcheurs. Dans son effort d’essayer de comprendre les racines des conflits dans la société haïtienne qui ont commencé dès les premières années de l’Indépendance, Antonin se demande pourquoi les anciens amis et camarades de Dessalines l’ont trahi. Il y voit peut-être une partie d’une « crise d’orientation d’une société postcoloniale cherchant sa voie ». En fin de compte, expliquent le réalisateur et ses intervenants, Dessalines a coordonné avec succès l’effort titanesque pour vaincre les Français mais il n’a pas été en mesure de gérer les multiples fractures qui subsistaient dans la société haïtienne après 1804. Dans l’ensemble, le film d’Antonin est un incontournable pour quiconque s’intéresse au cinéma haïtien ou à la fondation de la nation haïtienne. Bien que j’espère que ce ne sera pas la dernière œuvre cinématographique sur Dessalines, c’est une première historique, après de nombreux efforts infructueux pour réaliser des films sur Dessalines aux États-Unis et ailleurs. J’ai beaucoup appris des nuances et des détails apportés par les intervenants d’Antonin ainsi que de la possibilité de voir, de manière concrète et spectaculaire, le système de fortifications que Dessalines a commencé à construire à travers le pays avant son assassinat. Antonin a raison de noter que « les enfants d’Haïti lui doivent une reconnaissance éternelle », comme le lui doivent de nombreux peuples à travers le monde. En effet, comme le montre clairement le film, en déclarant son indépendance vis-à-vis des Français bien avant les peuples colonisés d’ailleurs, Dessalines a établi le principe - valable plus que jamais aujourd’hui encore - selon lequel chaque nation, aussi petite soit-elle, doit être libre et capable de déterminer son propre avenir. |
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