« On sent une énergie nouvelle » : le combat des démocrates américains pour le Sénat se joue en Géorgie28 décembre 2020
« On sent une énergie nouvelle » : le combat des démocrates américains pour le Sénat se joue en Géorgie Le Monde.fr | Publié le 28 décembre 2020 | 11:22 Par Carrie Nooten Les candidats démocrates aux élections sénatoriales américaines comptent sur la mobilisation des électeurs afro-américains pour remporter l’Etat le 5 janvier. « Nous sommes dans la ville de Martin Luther King. Je pense qu’il nous regarde d’en haut, et qu’il espère que nous allons poursuivre son héritage. » La docteure Bonita Senior, la soixantaine, ancienne de l’université Morris Brown d’Atlanta, « historiquement noire », est venue sur le campus écouter le programme de Jon Ossoff, l’un des deux candidats démocrates aux élections sénatoriales partielles du 5 janvier en Géorgie. Elle jette un rapide coup d’œil au ciel. « Si le Sénat passe à majorité démocrate, de merveilleuses lois permettant d’aider les gens ne seront plus bloquées par les républicains. Comme ils l’ont fait pour le président [Barack] Obama. C’est pour cela que ces élections sont primordiales ! » Aucun des candidats n’ayant obtenu plus de 50 % des voix lors du scrutin du 3 novembre 2020, les électeurs de Géorgie sont à nouveau appelés aux urnes. Jon Ossoff et le pasteur Raphael Warnock, les candidats démocrates, doivent impérativement remporter ces deux sièges pour que les démocrates reviennent à égalité, à 50 sénateurs, face aux républicains – pour l’instant majoritaires dans la chambre haute du Congrès. Car, en cas de 50/50 au Sénat, ce sera la vice-présidente, Kamala Harris, qui départagera les votes. Ce qui permettrait à Joe Biden, le président élu, de gouverner plus facilement. Mais les candidats républicains, David Perdue et Kelly Loeffler, sont sortis en tête du scrutin de novembre. Et ils ont l’histoire de leur côté : la Géorgie est traditionnellement républicaine. A la présidentielle, Joe Biden a bien remporté le « Peach State » – surnom de l’Etat, grand producteur de pêches –, mais avec 12 000 voix d’avance seulement. La dernière fois que la Géorgie avait basculé en bleu, c’était en 1992, pour Bill Clinton. L’enjeu national transposé dans cet Etat a rendu la campagne locale des plus intenses. D’autant que l’électorat est en pleine mutation démographique. Renaissance de l’engagement civique Sur les marches de l’université Morris Brown, Jon Ossoff est venu réaffirmer son engagement de rendre les études supérieures gratuites – y compris dans les établissements « historiquement noirs ». Il ne manque pas de marteler son triptyque santé-emploi-justice, trois domaines où la discrimination envers les minorités est la plus forte. La docteure Bonita Senior se sent galvanisée. « On sent une énergie nouvelle, affirme-t-elle. Ma circonscription, le comté de Clayton, a permis que la Géorgie devienne démocrate en novembre. Ceux qui ne votaient pas d’habitude se sont rendus aux urnes et ont fait basculer l’Etat. Ils sont las que les Afro-Américains soient traités différemment. Les jeunes le disent : ils ne sont plus prêts à accepter ce à quoi se résignaient leurs grands-parents. Ils affirment tout haut qu’ils sont égaux face aux autres Géorgiens. » « La renaissance de l’engagement civique est due à l’opposition à Donald Trump et à ses politiques, confie au Monde Jon Ossoff. A nous de capter cette énergie pour proposer des politiques positives, surtout en ce qui concerne les classes modestes. » En Géorgie, le regain d’intérêt pour la politique a surtout été encouragé par une femme, Stacey Abrams. Candidate malheureuse au poste de gouverneure en 2018, elle se bat depuis plus de six ans pour dénoncer la « suppression des électeurs », ce phénomène encore courant de décourager l’inscription sur les listes de certains électeurs, ou leur vote, et qui vise en particulier les populations afro-américaines, traditionnellement de sensibilité plus démocrate. « En Géorgie, en six ans, nous avons aidé 500 000 électeurs à s’enregistrer pour voter », avance Nse Ufot, directrice de l’association militante cocréée par Stacey Abrams, le New GA Project. « D’habitude, nous rencontrons les électeurs sur le terrain, mais avec la pandémie nous avons été obligés de changer de stratégie, multiplier les envois de SMS et les flyers, ajoute Richard Rose, le président de la branche d’Atlanta de l’organisation de défense des droits civiques NAACP. Et finalement, ça a été plus efficace. » Autocollant et part de pizza A trente kilomètres au nord d’Atlanta, dans l’un des bureaux de vote de Marietta, dans le comté de Cobb, les électeurs attendent patiemment plus d’une heure et demie avant de pouvoir placer leur bulletin dans l’urne. Les élections anticipées ont débuté le 14 décembre et deux millions d’électeurs se sont déjà déplacés. C’est un peu moins, proportionnellement, qu’à l’élection présidentielle – la circonscription est elle aussi passée démocrate en novembre –, mais beaucoup plus que ce que prévoient les statistiques en cas de deuxième tour. A la sortie, on remet aux électeurs un autocollant « J’ai voté ! » en forme de pêche et une part de pizza. « C’est une petite récompense pour ceux qui viennent voter, offerte par les restaurants voisins, explique Henry, le coordinateur bénévole du bureau de vote. C’est la première fois que nous voyons cela, et oui, cela peut inciter les plus hésitants à venir. » Plus au sud, à East Point, Nikema Williams, sénatrice démocrate locale, s’apprête à « monter » à Washington, où elle vient d’être élue à la Chambre des représentants. Elle participe à une dernière distribution de jouets pour une foule modeste et s’affiche à côté de la star de basket-ball Shaquille O’Neal. Le « Shaq », du haut de ses 2,15 m, confie avoir lui aussi voté en avance. « Pourquoi encore se demander si la Géorgie peut basculer démocrate ? La Géorgie est démocrate », affirme, sûre d’elle, Nikema Williams. Ce « momentum », dont profitent les démocrates de Géorgie, n’est pas le seul obstacle pour les candidats républicains. La crainte du parti est que les supporteurs de Donald Trump n’aillent pas voter : le président refusant de concéder sa défaite, il n’a cessé de décrédibiliser le processus électoral. Et s’il est attendu en Géorgie le 4 janvier, pour un deuxième meeting de soutien, et qu’il tweete régulièrement « Votez David Perdue et Kelly Loeffler ! », ses déclarations erratiques font trembler les républicains. Inclure toutes les voix Sénateur de Géorgie depuis 2015, David Perdue a opté pour une tactique d’évitement : il a refusé de participer au débat public l’opposant à Jon Ossoff à la télévision. Il espère que son expérience sera un avantage face au nouveau venu, un ancien journaliste d’investigation. Quant à Kelly Loeffler, alors qu’elle avait été désignée pour attirer les femmes éduquées des zones pavillonnaires rebutées par Donald Trump, elle a opté pour une tactique à l’opposé : s’afficher avec des soutiens du président. Elle répète ainsi à l’envi que son adversaire, Raphael Warnock – à la tête de l’église Ebenezer, l’ancienne paroisse de Martin Luther King – est un « radical libéral ». De leur côté, les chaînes de télévisions locales diffusent en boucle des spots publicitaires attaquant sans relâche les candidats démocrates.
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