31 juillet 2015
Au Kenya, l’« Obamania » et ses limites Le Monde.fr | Publié le 24 juillet 2015 Par Bruno Meyerfeld (à Nairobi) Dans le centre-ville de Nairobi, les consignes ont été strictes. Les bâtiments, officiels comme privés, ont dû ravaler leur façade, repeindre les murs. Les routes ont été goudronnées, les ordures ramassées, les clochards évacués. Barack Obama arrive ce vendredi 24 juillet à Nairobi, pour une visite officielle de trois jours dans le pays natal de son père. La ville a fait peau neuve, manu militari. La municipalité a même retourné les plates-bandes et planté à la hâte de la pelouse le long de la route suivie par la voiture présidentielle. Tant pis si l’herbe n’aura jamais le temps de pousser avant l’arrivée du président américain. M. Obama se rend au Kenya pour assister à la sixième édition du sommet mondial de l’entreprenariat (GES), organisé chaque année depuis 2010 par la Maison Blanche. Ce sera sa quatrième visite dans le pays de son père, Hussein Barack Obama, mais la première depuis son élection en 2008. Le Kenya vit depuis plusieurs semaines en pleine « Obamania ». « C’est comme JFK retournant en Irlande », décrit le reporter kényan Murithi Mutiga dans les colonnes du Guardian. Dans tout le pays, on peint le portrait de l’enfant du pays, on achète des tee-shirts à son effigie. Les rumeurs les plus insensées se retrouvent en « une » des journaux, s’échangent par courrier électronique ou SMS alarmistes. L’aéroport international Jomo-Kenyatta sera-t-il fermé durant la visite ? Toute activité sera-t-elle arrêtée dans le pays ? Les portables somaliens, voire kényans, seront-ils bloqués ? L’ensemble de la côte est-africaine passera-il sous contrôle militaire des Etats-Unis ? Pourquoi d’ailleurs s’attarder sur les rumeurs ? La réalité est déjà assez stupéfiante. Depuis plusieurs semaines, la ville est quadrillée par les services de sécurité, le ciel sillonné par des appareils de transport militaires, dont certains décollent de la pelouse de l’université kenyatta. Selon la presse nationale, 13 000 personnes dont au moins 800 agents américains assureront la sécurité du président, afin d’empêcher toute attaque du groupe djihadiste Al-Chabab, allié à Al-Qaida, responsable de l’attentat contre l’université de Garissa en avril. Selon le Pew Research Center, 80 % des Kényans conservent une opinion positive de Barack Obama. Mais quelques polémiques apparues ces dernières semaines pourraient écorner l’image de l’enfant prodige. La visite à Kogelo, le village paternel, n’aura pas lieu. Cela a jeté un petit froid auprès des ressortissants de la région. « Il ne pouvait pas venir, il a encore trop de responsabilités. Mais j’espère qu’il reviendra quand il ne sera plus président… », souligne, réaliste, John Odhiambo, chauffeur à Kisumu, dans l’ouest du pays. « Il y a, chez les Kényans, une forme de déception due au fait qu’Obama ne soit pas venu plus tôt », analyse Peter Gitau, étudiant à Nairobi. Pendant ses deux mandats, le président américain s’est déjà rendu au Ghana, en Egypte, en Tanzanie, en Afrique du Sud et au Sénégal. « J’ai l’impression que depuis 2008, il a voulu éviter le Kenya, continue-t-il. C’est vraiment dommage, car nos pays affrontent la même menace terroriste. L’absence de son soutien nous a empêchés de progresser sur ce dossier. Il a manqué de courage. » M. Gitau n’est pas dupe : « En même temps, ce n’est pas évident de se rendre dans un pays dont le chef de l’Etat est attaqué par la Cour pénale internationale… » Jusqu’en décembre 2014, le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, était un paria, poursuivi pour crimes contre l’humanité pour les violences qui ont suivi les élections de 2007 et fait 1 300 morts. Les charges ont été abandonnées, faute de preuves, mais elles pèsent toujours sur son vice-président, William Ruto. Barack Obama acceptera-t-il de rencontrer ce dernier ? Uhuru Kenyatta a prévenu : « Le président des Etats-Unis vient rencontrer le gouvernement du Kenya (…). La dernière fois que j’ai vérifié, le vice-président faisait toujours partie de ce gouvernement. » Avant même son arrivée, Barack Obama s’est aussi fait des ennemis. Le locataire de la Maison Blanche souhaiterait évoquer les droits des homosexuels, comme il l’avait fait au Sénégal, en juin 2013. Mais il est devenu la cible des évangélistes kényans, qui l’attaquent massivement sur les réseaux sociaux. Ils sont déjà descendus dans la rue au début du mois. « S’il vient parler des droits des homosexuels, nous allons demander à le rencontrer. Les gens ici seront très en colère, et je suis certain qu’il y aura des manifestations contre lui », explique Kennedy Kimiywe, évêque adjoint de l’Eglise évangélique Christ est la réponse (Citam). Le président kényan a, quant à lui, déclaré que la question des droits des homosexuels était un « non-sujet ». Le voyage alarme également les organisations de défense des droits de l’homme. La venue de Barack Obama apparaît comme une bénédiction pour Uhuru Kenyatta, qui effectue là son grand retour sur la scène internationale. « Les libertés individuelles se sont fortement dégradées sous Kenyatta », alerte Leslie Lefkow, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. Elle mentionne la corruption endémique, les exactions de la police contre les musulmans et les Somaliens et les menaces qui pèsent sur la liberté de la presse « Si Barack Obama n’adresse pas un message fort à Kenyatta sur les droits de l’homme, ne serait-ce que dans des discussions privées, et qu’on ne voit pas de résultats concrets ensuite, cette visite sera considérée comme un échec », prévient-t-elle. S’éloignant des dirigeants embarrassants, Barack Obama compte tout de même aller à la rencontre des Kényans, dimanche, lors d’un grand discours dans le stade Kasarani, d’une capacité d’accueil de 60 000 personnes. Dira-t-il quelques mots en swahili, pour apaiser les cœurs, comme il l’avait fait lors des élections de 2013, appelant à l’époque les Kényans à se rendre aux urnes sans violence ? Les officiers de sécurité, de leur côté, patrouillent déjà aux abords du stade. « Je vais être honnête avec vous, visiter le Kenya comme simple citoyen a probablement plus de sens pour moi que de le visiter comme président, parce qu’alors je peux sortir d’une chambre d’hôtel ou d’un centre de conférences », a indiqué, il y a quelques jours, M. Obama lors une conférence de presse. On ne saurait mieux dire.
0 Comments
|
Archives
April 2024
Categories |