"Evitons le piège de la lassitude! Ne laissez pas mourir Haïti!"29 août 2021
"Evitons le piège de la lassitude! Ne laissez pas mourir Haïti!" Le Monde.fr | Publié le 25 août 2021 | 17:00 Tribune de James Noël Après le nouveau séisme de magnitude 7,2 qui a frappé le pays le 14 août, le poète haïtien James Noël s’alarme, dans une tribune au « Monde », du silence médiatique qui a suivi et appelle à « faire d’Haïti un épicentre de l’espoir ». Tribune. Encore Haïti ? Franchement, ce pays exagère ! Un malheur de plus et qui s’est invité avec fracas. Le samedi 14 août, un tremblement de terre a frappé le pays, au matin même de la fête Notre-Dame, jour férié. La nouvelle, brutale, se confirme : un nouveau séisme de magnitude 7,2 s’est produit, l’équivalent de trente bombes atomiques, selon un scientifique. Son épicentre est au sud, plusieurs villes détruites et des bourgs en lambeaux : Les Cayes, Cavaillon, Nippes, Camp-Perrin, Jérémie – autrement appelée la « cité des Poètes » –, ville natale du général Alexandre Dumas, le père de l’auteur des Trois Mousquetaires. Ceci n’est pas une fiction. La nouvelle catastrophe a causé des dégâts considérables dans un pays en faillite, exténué par la faim, les failles terrestres et les gangs, ces nouveaux talibans qui prennent le quotidien en otage. La comparaison n’est pas opportuniste. Le gangstérisme qui gangrène notre déroute prépare à grande vitesse le lit du terrorisme ! Etat corrompu jusqu’à l’osLes malheurs se télescopent. Seulement un jour après la catastrophe en Haïti, les talibans ont envahi l’Afghanistan. Stupeur et tremblement de la communauté internationale. Une information en chasse une autre. On tourne la page, Haïti passe et trépasse au zapping. Pourtant, c’est désolation et horreur absolue dans le sud et la Grand’Anse. Beaucoup de familles à la rue, des vies fissurées, des morts en masse, des milliers de blessés et de sans-abri. Manque de tout, de tentes et de bâches. Et une tempête du nom tragiquement ironique de Grace qui s’en mêle trois jours après, avec sa hargne pleine de vent et de pluie, provoquant inondations et éboulements. En 2010, quand le séisme a frappé et coûté la vie de 300 000 personnes, une mobilisation spontanée à l’échelle mondiale s’est manifestée en vue d’aider, de porter secours, bref de répondre aux urgences. Une solidarité sans précédent, suivie de la grande dérive dont on connaît maintenant l’étendue avec la dilapidation de l’aide humanitaire par des ONG sans scrupule et notre Etat corrompu jusqu’à l’os. Mais il ne fait aucun doute que le séisme de 2010, surnommé « Goudou-Goudou » [surnom en forme d’onomatopée donné par les Haïtiens au tremblement de terre en référence au bruit qu’il provoque], a fait trembler toute la planète. Celui du 14 août, le Goudou-Sud, n’a pas provoqué de mobilisation à la hauteur du désastre. Les médias en parlent, mais pas assez. Silence radio sur les réseaux. Les talibans nous ont viré de l’actualité sans tirer un coup de fusil. Pendant ce temps, la population du sud est aux abois. L’aide tarde à arriver. Malgré quelques efforts surhumains qui méritent d’être salués, force est de constater qu’il y a une forme de méfiance, voire de lassitude dès lors qu’il s’agit d’Haïti, un pays condamné à se faire des frayeurs, abonné trop souvent à l’impensable et au pire. Disons-le sans trembler, un nouveau séisme n’avait pas sa place dans le chaos actuel. Et puis, il y a le contexte mondial rattaché au virus, aux variants, à la respiration sous condition, aux masques, aux vaccins qui nous gonflent de toutes formes d’incertitudes. Le Covid-19 nous fait la peau ! Parions sur un nouveau monde Grande est la tentation de tourner le dos, de se laver les mains comme Ponce Pilate face à un pays crucifié. Mais le problème, c’est qu’Haïti respire encore, et transpire l’insolence avec de beaux restes. Avec une nouvelle génération, très consciente des enjeux, qui ne rêve qu’à la dignité, à l’égalité des chances, au mieux-être et au changement profond du système, sonne l’heure inespérée d’un « Reset » et d’un rebrassage des cartes. Cet espoir-là mérite d’être soutenu et chéri. C’est l’espoir transatlantique du monde de demain. On peut faire d’Haïti un épicentre de l’espoir, un défi accompli par un investissement de confiance dans le rêve de chacun, « la pupille de l’humanité » recommandait déjà Régis Debray en 2010. Il faut aider Haïti malgré tout, malgré sa douleur envahissante et son passé d’irrévérence qui titille le présent. Evitons le piège de la lassitude. Il est urgent d’aider, de voler au secours des nations fragilisées par les failles et les querelles de l’histoire. Leurs tremblements doivent être au cœur du concert des nations. Malgré le chaos et le bruit assourdissant, ne laissez pas tomber l’Afghanistan, ne laissez pas mourir Haïti ! Jérémie, Jérémie, la cité des Poètes est effondrée ! Au nom de ce beau joyau soufflé complètement sur la carte, parions sur un nouveau monde de visionnaires, de démiurges pour garder l’empreinte tenace de la beauté fragile de la vie au bout des doigts. Les artistes, par temps de drame, demeurent des urgentistes de l’aurore, des secouristes de la vérité. James Noël est un poète haïtien qui codirige avec l’artiste Pascale Monnin la revue internationale « IntranQu’îllités ». Il a reçu le Grand Prix international de littérature 2020 pour son roman « Belle Merveille » (éditions Zulma). « Brexit » est son dernier livre paru aux éditions Au Diable Vauvert (2020).
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