Coronavirus: les États-Unis frappés au cœur31 mars 2020
Coronavirus: les États-Unis frappés au cœur Le Figaro.fr | Publié le 30 mars 2020 | 15:07 Par Adrien Jaulmes La réalité a fini par rattraper Donald Trump. Dimanche, l’air inhabituellement grave, le président américain a annoncé qu’il allait prolonger la période de restrictions jusqu’au 30 avril, et que son intention de lever ces mesures pour Pâques n’avait été qu’un espoir. Citant des modèles statistiques, Trump a expliqué que le pic de mortalité devrait être atteint d’ici deux semaines. Mais surtout, il a reconnu pour la première fois que le bilan de l’épidémie de Covid-19 pourrait être très lourd. «Si nous restons entre 100.000 et 200.000 morts, nous aurons fait du bon travail», a-t-il dit, expliquant que le bilan «aurait pu s’élever à 2,2 millions de décès, peut-être même au-delà si nous n’avions rien fait». Il lui a fallu plusieurs semaines pour admettre que l’épidémie avait imposé à sa présidence un tour imprévu. Trump a dû accepter l’existence de cet «ennemi invisible», qu’il ne peut chasser en changeant de sujet, ou en faisant porter la responsabilité à ses adversaires. L’année avait bien commencé pour lui. Son procès en destitution sur le point de se terminer par son acquittement, de bons résultats économiques, une crise majeure avec l’Iran évitée, Trump pouvait envisager sereinement sa réélection en novembre. Depuis la Maison-Blanche, il distillait ses commentaires sur les primaires démocrates. Le premier cas déclaré sur le sol américain, celui d’un homme diagnostiqué comme porteur du Covid-19 le 20 janvier dans l’État de Washington, avait été traité comme un détail. «Il s’agit juste d’une personne qui vient de Chine. Tout est sous contrôle. Tout va bien se passer», dit alors Trump depuis Davos, où il participe au Forum économique mondial. Pourtant, dix jours plus tard, le 31 janvier, le président décide à titre de précaution de suspendre les vols en provenance et à destination de la Chine, mesure dont il n’a cessé depuis de vanter la clairvoyance et le courage. Pour le reste, aucune disposition particulière n’est prise, même lorsque d’autres cas se déclarent dans l’État de Washington. Le président affiche sa confiance. Le 10 février, dans un meeting dans le New Hampshire, il suggère que l’épidémie peut s’arrêter d’elle-même, comme la grippe. «D’ici avril, vous savez, en théorie, quand ça se réchauffe un peu, ça peut se terminer miraculeusement.» Fin février, il nomme le vice-président Mike Pence à la tête d’une équipe chargée de coordonner la lutte contre l’épidémie. Parmi eux, le docteur Anthony Fauci, directeur de l’Institut des allergies et des maladies infectieuses, qui tient un discours pessimiste et prévoit que l’épidémie n’en est qu’à ses débuts. «Peut-être que ça va s’arrêter. On va voir. Personne ne sait», espère quand même le président. Une«nouvelle tentative de destitution» Début mars, le nombre de cas répertoriés aux États-Unis dépasse le millier. La chaîne Fox News, qui est la principale source d’information du président, apporte une vision politique des choses: le virus n’est pas pire que la grippe et les démocrates «poussent à la panique». La journaliste Trish Regan compare la couverture de l’épidémie à une «nouvelle tentative de destitution». Seul l’un des présentateurs vedettes de la chaîne prend l’affaire au sérieux. Tucker Carlson, partisan du président, est préoccupé par ce qu’il perçoit comme une tentative de la Chine de cacher la vérité sur l’épidémie. Le 7 mars, il se rend à Mar-a-Lago, le club de Trump en Floride, où se déroule l’anniversaire de Kimberly Guilfoyle, ex-présentatrice de Fox et compagne de Donald Trump Jr, le fils du président. Parmi les invités, deux sénateurs et le président brésilien Jair Bolsonaro, dont l’un des collaborateurs est porteur du virus. Carlson prend le président à part, et pendant deux heures, lui fait part de ses craintes sur la réalité de l’épidémie. "Quand un mystérieux virus apparaît dans l’est de la Chine, il a été difficile de convaincre les électeurs de Trump qu’il ne s’agissait pas d’un coup politique" Tucker Carlson «Les électeurs de Trump ont tendance à croire que les médias sont là pour lui nuire… Donc quand un mystérieux virus apparaît dans l’est de la Chine, il a été difficile de les convaincre qu’il ne s’agissait pas d’un coup politique», a dit Carlson à Vanity Fair pour expliquer la méfiance du président et des républicains à l’égard des médias. C’est sans doute à ce moment que Trump commence à prendre le problème au sérieux. La semaine suivante, un changement radical s’opère dans son discours. Le mercredi 11 mars, jour où l’OMS annonce une «pandémie globale» , Trump prononce une adresse à la nation. Il annonce des mesures exceptionnelles pour enrayer l’épidémie, et notamment la suspension des liaisons aériennes avec l’Union européenne. Le ton, et les imprécisions du discours, qui précipite le retour aux États-Unis de dizaines de milliers d’Américains, créent un début de panique. La bourse dévisse, enregistrant ses pertes les plus importantes depuis 1987. Les jours suivants, Trump est obligé d’apporter des précisions, et Fox News licencie Trish Regan. «L’ennemi est la mort» Trump a depuis adopté la posture d’un président de crise. Il apparaît presque tous les jours à la télévision entouré par ses collaborateurs, auxquels il donne la parole. Il garde les yeux fixés sur l’économie, qui voit se profiler une récession d’ampleur historique, et signe le plan d’aide inédit voté par le Congrès. Pour le reste, réticent à voir l’État fédéral s’immiscer dans les affaires des États, il laisse les gouverneurs se débrouiller seuls. «Nous ne sommes pas des postiers», dit-il en réponse à une demande de l’État de New York de dizaines de milliers d’appareils d’assistance respiratoire. Fox News a changé radicalement de ton. Trump est un président de temps de guerre, et les démocrates lui mettent des bâtons dans les roues. Lui-même réécrit le déroulement des faits, saluant ses propres actions, et reniant ses propres propos. «Je n’ai jamais dit ça», répond-il à une journaliste qui lui demande s’il estime toujours que 30 000 appareils respiratoires pour New York sont surévalués. «Ne me menacez pas, soyez gentille!» En hausse dans les sondages, avec 48% de soutien de son action dans certaines enquêtes, Trump se félicite de l’audience de ses conférences de presse, «à peu près la même que pour le dernier épisode de The Bachelor». Pourtant, le bilan qui s’alourdit menace chaque jour cet exercice de relations publiques. «Malheureusement, l’ennemi est la mort, a-t-il reconnu dimanche. Beaucoup de gens meurent, donc c’est très désagréable. C’est une chose très désagréable à vivre.»
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