L’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert, lauréat du prix de la langue française18 octobre 2019
L’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert, lauréat du prix de la langue française Rezonodwes.com | Publié le 18 octobre 2019 Le Prix de la langue française 2019, créé en 1986, est attribué à l’écrivain haïtien de 57 ans, Louis-Philippe Dalembert. Doté de 10.000 euros, ce prix sera remis à Dalembert lors de la cérémonie d’inauguration de la Foire du livre de Brive le 8 novembre prochain. Le jury, composé d’académiciens français, d’académiciens Goncourt, d’écrivains et de journalistes, a déjà accordé cette distinction à Jean Tardieu, Pierre Guyotat, Pascal Quignard, Philippe Forest, René de Obaldia, Annie Ernaux, Emmanuel Carrère, Jean Rolin ou Mona Ozouf, mais jamais à un écrivain haïtien. Né à Port-au-Prince le 8 décembre 1962 à Port-au-Prince, Dalembert, qui a grandi au Bel-Air, a publié son premier roman « Le crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme » en 1996, dix ans après avoir laissé Haïti pour la France. Dalembert a vécu tour à tour à Nancy, Paris, Rome, Jérusalem, Berlin et Milwaukee, etc… et a publié des poèmes, des livres écrits en créole, et des romans rédigés en français comme « Avant que les ombres s’effacent » (2017), qui rappelle la noble et généreuse attitude d’Haïti pendant la Seconde Guerre mondiale. L’auteur vient de publier « Mur Méditerranée » (Sabine Wespieser), un roman poignant sur le drame des migrants en Méditerranée, en lice pour le prix Goncourt des Lycéens. S’inspirant de la tragédie d’un bateau de clandestins sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte pendant l’été 2014, Louis-Philippe Dalembert, à travers trois magnifiques portraits de femmes – la Syrienne Dima, la Nigériane Chochana et l’Érythréenne Semhar -, nous confronte de manière frappante à l’humaine condition, dans une ample fresque de la migration et de l’exil.
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Les littératures des Antilles françaises: des doudouistes aux post-créolistes28 avril 2019
Les littératures des Antilles françaises: des doudouistes aux post-créolistes Erudit.org | Par Françoise Simasotchi-Bronès UNE LITTÉRATURE SOUS LE POIDS DE L’HISTOIRE L’expression « Antilles françaises » englobe deux entités géographiquement éloignées : la Caraïbe, d’une part, et la Guyane sur le grand continent sud-américain, d’autre part. Il en va de même pour sa littérature souvent dite antillo-guyanaise. Les problématiques spatiales et historiques différent légèrement : Guadeloupe et Martinique se caractérisent par leur insularité, la Guyane, par sa continentalité. Une fois les populations indiennes (Arawaks ou Caraïbes) de l’archipel antillais décimées, les colonisateurs espagnols, anglais et français instaurent l’esclavage des Noirs, déportés, par le dispositif de la Traite, de l’Afrique vers les Amériques. Le système de la plantation devient le modèle d’organisation économique et socioculturel de la région. Dans les possessions françaises, l’esclavage a été aboli une première fois par l’Assemblée constituante en 1794, rétabli par Bonaparte en 1802, puis définitivement aboli en 1848. Ces îles antillaises seront alors soumises au code restrictif de l’indigénat. En 1946, sous l’instigation d’Aimé Césaire, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane obtiennent le statut de département français (DOM2 ). Ce qui semblait être une porte d’entrée dans l’égalité républicaine se révélera finalement déceptif, car les préjugés raciaux sont tenaces. Ce tableau historique, très rapidement brossé, est indispensable pour comprendre le développement ultérieur de ces littératures. Il faut le compléter en rappelant l’extrême diversité des origines du peuplement de ces îles et de la Guyane. Comme le rappelle l’écrivain guadeloupéen Daniel Maximin, il a fallu « quatre continents pour faire un peuple » : colons français, esclaves africains et, après 1848, travailleurs « engagés », Africains, Indiens, Chinois, Japonais et Libano-Syriens. La Guyane est, elle aussi, un kaléidoscope de peuples . Autre élément majeur commun à ces îles, à côté de l’usage du français (plus ou moins répandu mais réservé aux colons blancs dits békés), introduit dès le XVIIe siècle, se sont développés des créoles à base lexicale française4 qui permettent une communication entre esclaves et maîtres. Le phénomène d’intercompréhension qui existe entre les créoles suggèrent une parenté culturelle entre les DOM, Haïti (indépendante dès 1804) et même la Louisiane (ancienne colonie française, devenue l’un des États-Unis d’Amérique en 1803). Pour des raisons sociohistoriques et politiques évidentes, ces littératures antillaises francophones sont entrées plus tardivement dans la République mondiale des lettres que celle d’Haïti par exemple, la grande sœur des littératures francophones caribéennes. Entrée différée par le fait que les premiers textes concernant ces espaces furent les relations de voyage, écrites par des voyageurs et des missionnaires qui ont constitué une littérature exogène, selon Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant dans leurs Lettres créoles. Hormis Atipa du Guyanais Alfred Parépou, premier récit en créole, paru en 1885, jusqu’au début XXe siècle, les premières productions littéraires (roman et poésie) sont le fait de colons ou de mulâtres, alors que les Noirs sont la population majoritaire. La littérature reste donc une littérature marquée par « l’exotisme, la nostalgie, la rêverie passéiste sur le peuple caraïbe, le mythe des îles heureuses » car les Békés et les mulâtres vivaient en exil et étaient peu soucieux des réalités locales. La poésie, très présente, reprenait des thèmes évoquant l’amour avec de belles doudous sous des tropiques paradisiaques. L’extinction de cet exotisme littéraire doudouiste sera très lente. LE CONTEUR : LITTÉRATEUR PREMIER Retracer l’histoire de cette littérature antillaise doit aussi passer par un rappel de l’importance de l’oralité initiale. Selon les critiques antillais francophones, cet héritage africain fut la première forme de littérature pour les esclaves et leurs descendants, qui n’avaient pas accès à l’écrit. Ce point rapproche les littératures créoles et africaines. Des critiques haïtiens ont créé le mot « oraliture », qui désigne des productions non écrites mais néanmoins empreintes d’une valeur littéraire. Cette oraliture (contes légendes, devinettes, etc.), née dans et contre le système des plantations du système colonial (dont la condition servile du Nègre) a diffusé, de façon sous-terraine, une contre-culture de résistance à l’asservissement, de sorte que le conteur est le littérateur premier de cet espace. ÉMERGENCE LITTÉRAIRE ÉMERGENCE LITTÉRAIRE : LÉGITIME DÉFENSE ET AUTRES REVUES La revue Légitime défense (1 seul numéro paru en 1932) est un des textes fondateurs de la littérature antillaise, d’influence surréaliste, marxiste et freudienne ; elle affiche une volonté de rupture avec la littérature d’assimilation en vogue jusque-là aux Antilles. Ses rédacteurs, une dizaine de jeunes gens e n c o l è r e , d é n o n c e n t l e doudouisme et l’aliénation culturelle qu’ils subissent, et réclament l’avènement d’une littérature antillaise digne de ce nom. Leurs revendications sont donc identitaires, littéraires, culturelles et politiques. L’émergence de la littérature antillaise est rendue possible grâce à d’autres revues créées pour la plupart à Paris par la diaspora noire : La Voix des Nègres (1927), La Race nègre (1927), L’Étudiant martiniquais (1934), L’Étudiant noir (1935). Cette dernière est la première revue littéraire à laquelle ont collaboré un petit groupe d’intellectuels noirs venus des différentes colonies de l’empire colonial français qui se sont rencontrés au Quartier latin, où ils faisaient leurs études : Léopold Sedar Senghor, Ousmane Socé et Birago Diop du Sénégal, Aimé Césaire et Léonard Sainville de Martinique et Léon Gontran Damas de Guyane. L’influence de Jean-Price Mars (Haïti), des Noirs américains des mouvements du New negro, ou de la Harlem Renaissance (Lagnston Hughes, Claude Mac Kay, etc.) va nourrir la prise de conscience d’une spécificité noire qui sera au cœur du mouvement de la Négritude. LA NÉGRITUDE : CÉSAIRE ET DAMAS Aimé Césaire (1913-2008) inaugure une authentique littérature antillaise. Il forge avec Senghor et Damas, le mot de Négritude, qui est l’affirmation d’une culture, voire d’une civilisation noires dont l’Afrique serait le berceau. En 1931, Césaire a quitté sa Martinique natale pour venir faire des études en France, où il prépare l’École normale supérieure. À la fin de ce séjour, il écrit Cahier d’un retour au pays natal, d’abord publié sous formes de fragments en 1939 et dans lequel il envisage son retour dans son île. Rentré en Martinique, avec sa femme Suzanne et d’autres intellectuels martiniquais, au moment où débute la Deuxième Guerre mondiale, confronté au régime de Vichy, qui prend le pouvoir en France, il crée une revue de résistance politique et culturelle : Tropiques, qui parait à partir de 1941 avant d’être censurée en 1943. Cette revue traduit la prise de conscience de l’oppression subie par le peuple martiniquais à travers le système colonial. La même année, en route vers l’exil à New York, lors d’une escale en Martinique, André Breton découvre par hasard, dans une mercerie, des extraits du Cahier. Admiratif de l’écriture de Césaire et de sa poésie « belle comme l’oxygène, naissant », il en fera la promotion en écrivant une préface : « Un grand poète noir », qui donnera au Cahier dans le champ littéraire francophone la visibilité qui lui avait fait défaut à sa sortie. Avec ce « grand cri nègre » poussé en 1939, Césaire opère une rupture fondatrice pour la littérature antillaise et donne l’« arme miraculeuse » de la reconquête de soi-même du noir antillais. Pour Franz Fanon, « L’Antillais après 1945 a changé ses valeurs […]. Il se découvre […] non seulement un noir mais un nègre ». Le texte a une forte dimension messianique, le poète acceptant d’être le porte n’ont point de bouche ». Sont frappantes la nouveauté radicale de cette écriture poétique, sa violence performative et polémique, les néologismes, hapax, images-chocs donnant à ce verbe une force révélatrice. Les œuvres césairiennes ultérieures, poétiques, théâtrales, dont son Discours sur le colonialisme (1950), poursuivent cette démarche de libération politique et d’affirmation identitaire. En 1945, Césaire est élu député de la Martinique et maire de Fort-de-France : il le restera jusqu’en 1993 : pour lui, poésie et action politique sont indissociables. Compagnon de route de Césaire, le Guyanais Léon Gontran Damas pointe de son côté, sur un ton polémique, la passivité des Antillo-guyanais, dans ses poèmes Pigments (1937) et Retour de Guyane (1938). Du côté de l’essai, on peut noter une avancée majeure avec le Martiniquais Frantz Fanon, qui met au jour l’aliénation des Noirs antillais et plus largement des colonisés dans Peau noire masques blancs (1952). Ce virulent texte anticolonial sera suivi des Damnés de la terre (1961, préfacé par Jean-Paul Sartre), manifeste radical d’une volonté de décolonisation. Les écrits de Fanon, psychiatre installé en Algérie et qui a pris parti pour la libération algérienne, vont nourrir les discours anticoloniaux mondiaux de la décennie 1960. Parce que sa théorisation nécessitait que la Négritude propose une vision partiale, elle a été critiquée par René Depestre, Wole Soyinka , ou encore Fanon. Mais elle a indéniablement joué un rôle fondamental dans l’avènement d’une littérature antillaise reconnue par tous, se défiant de l’autoexotisme, à qui il importe d’ancrer l’écriture dans le réel et surtout de prendre en compte la spécificité du nègre antillais, longtemps dépossédé d’expression propre. Selon Jack Corzani : « la Négritude [a] favorisé, en tant que construction mythique, “irrationnelle”, la création littéraire et singulièrement poétique dans l’ensemble du monde négro-africain, Antilles-Guyane comprises. En libérant le Noir antillo-guyanais de ses complexes, en l’encourageant à crier sa Négritude et sa révolte face à la condition qui lui était faite, elle allait révolutionner la littérature antillaise dans ses thèmes et dans ses formes ». La Négritude a inauguré une tradition de littérature antillaise de combat, d’engagement et de responsabilité qui fut portée par des auteurs parfois moins connus, tels Joseph Zobel (La rue Cases-nègres, 1950), Guy Tyrolien (Balles d’or, 1961), Paul Niger (Initiation, 1954), etc. L’ANTILLANITÉ : ÉDOUARD GLISSANT En créant le terme d’Antillanité, dans le climat politique insurrectionnel des années 1960, Édouard Glissant (1928 -2011), poète, romancier et théoricien martiniquais, propose de dépasser les déterminations raciales pour articuler la prise de conscience antillaise sur l’histoire et l’environnement culturel des îles. L’Antillanité n’exalte pas une essence nègre, improbable, compte tenu de la multiplicité des peuples qui constituent la communauté antillaise. Elle propose un espace de réflexion dans lequel toutes les composantes ethniques (Blancs, Noirs, Asiatiques, etc.) peuvent se reconnaitre. Née du constat de l’échec de la départementalisation (1946) qui a stérilisé toute créativité, l’Antillanité porte un projet d’émancipation politique et la mise en place d’un système fédéral qui regrouperait les Antilles. C’est une réflexion géographique (et historique) plutôt qu’ethnique autour d’une identité antillaise « ouverte et plurielle ». Selon Glissant, « l’Antillais doit passer de la proclamation de sa présence au monde à l’affirmation positive [de celle-ci] » (Corzani, op.cit, p. 62). Glissant est le principal romancier de l’Antillanité et affirme le devoir pour l’écrivain antillais, comme tout écrivain postcolonial, de revisiter l’histoire officielle pour en démonter les mensonges. Par la suite, rassemblant l’ensemble de ses travaux, son Discours antillais (1981) opère un recentrement sur la Caraïbe. La réflexion qui s’y développe est fondée sur l’éloge du Divers. Mais c’est avec sa philosophie de la Relation et sa théorie de la créolisation que Glissant s’impose comme un des penseurs du monde contemporain postcolonial, de l’envergure d’un Aimé Césaire. Son œuvre est profuse : romanesque, La lézarde (prix Renaudot 1958), Le quatrième siècle (1964), Malemort (1975) ; poétique, Les Indes (contre-épopée), Champ d’îles, La terre inquiète ;théâtrale, Monsieur Toussaint (1961) ; philosophique, Le traité du Tout-monde, Poétique de la relation, Philosophie de la Relation. Mort en 2011, lu et traduit en plusieurs langues, il est une figure majeure de la vie littéraire et intellectuelle contemporaine. L’Antillanité, notion plus que concept, propose une définition assez floue pour servir d’étiquette à plusieurs romanciers et poètes attachés à rendre compte du réel antillais. CRÉOLITÉ ET CRÉOLISATION : GLISSANT, CONFIANT ET CHAMOISEAU La démarche de Glissant va fortement influencer une génération de jeunes écrivains. Trois d’entre eux, Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, publient Éloge de la Créolité (1989), dans la continuité des idées défendues par Glissant, dédicataire de l’essai. Le créole, langue et personnalité, est au centre d’une esthétique et d’une poétique que ce manifeste tente de formaliser. Ce mouvement coïncide avec l’épanouissement d’une nouvelle littérature antillaise, s’inventant dans l’acceptation d’une langue française imagée, fécondée par l’imaginaire créole. La Créolité, porteuse de la possibilité d’un « retour à soi-même réconcilié », vise à la refondation identitaire d’un sujet collectif créole qui résulterait de la créolisation telle que définie par Glissant. À ceci près que, pour ce dernier, « créole » signe une identité irréductible à une appartenance nationale, un devenir qui s’élabore dans la Relation, contact permanent avec d’autres. La créolisation, processus inachevable, inaugure donc un nouveau mode d’être-au-monde, parti de l’espace caraïbe et qui s’applique désormais au Tout-Monde. Écrivains prolixes, Chamoiseau et Confiant sont représentatifs d’une génération d’écrivains qui, grâce aux révoltes de leurs aînés, ont pu remettre en cause les canons littéraires impériaux en pratiquant notamment un travail de remaniement de la angue française, tout en mettant au centre de leur création l’affirmation d’une spécificité identitaire caribéenne, construite à partir d’une histoire acceptée, car revisitée, et d’une géographie assumée qui les place à la croisée de l’Afrique, de l’Europe et des Amériques. EN MARGE OU DANS LE SILLAGE DE L’ANTILLANITÉ ET OU DE LA CRÉOLITÉ En marge, ou dans le sillage de ces notions ou mouvements se rangent quelques auteurs caribéens contemporains importants. On peut citer Tony Delsham (Martinique), auteur populaire prisé par le grand public, dont l’œuvre reprend de manière assez schématique les principes de la Créolité. On peut également mentionner de grandes romancières guadeloupéennes qui illustrent librement l’Antillanité ou la Créolité, qu’elles intègrent ou discutent. Simone Schwarz-Bart a d’abord écrit à quatre mains avec son mari d’origine juif polonaise André11, avant de signer, seule, une œuvre magistrale : Pluie et vent sur Télumée Miracle (1972), chronique de la vie guadeloupéenne du début du XXe siècle qui suit le destin d’une lignée de femmes courageuses, seuls éléments de stabilité d’une société à la dérive. Elle reviendra vers l’Afrique avec Ti Jean l’horizon (1979), en associant oralité et écriture romanesque ; c’est le récit d’un parcours allégorique proche de celui de la romancière elle-même. Maryse Condé signe une œuvre importante, où elle questionne les retrouvailles possibles entre les Antillais et l’Afrique, notamment dans son épopée africaine Ségou (1984), mais aussi dans La vie sans fards (2012). Elle critique les doxas sclérosantes de la Négritude ou Créolité et revendique son identité nomade. Gisèle Pineau s’intéresse aux identités confrontées à l’exil, Le papillon dans la cité (1992), L’exil selon Julia (1996). Elle s’attache à dénoncer la condition faite aux femmes dans ces communautés postcoloniales (violence sexuelle et symbolique) où elles demeurent « les colonisées des décolonisés », dans L’espérance macadam (1995), Fleur de Barbarie (2007), Cent vies et des poussières (2012). Son écriture est qualifiée de Créolité au féminin par Christiane Ndiyae. D’autres jeunes auteures, comme Fabienne Kanor ou Gerty Dambury, peuvent compléter ce tableau, qui est très loin d’être exhaustif. La littérature guyanaise est moins visible. Quelques noms émergent : René Maran (Batouala, prix Goncourt, 1921), L. G. Damas, J. Elie Stephenson, Bertène Juminer (Les Batards, 1961 ; Au seuil d’un nouveau cri, 1978) et, plus récemment, Serge Patient (Le Nègre du gouverneur, 1972), Alfred Alexandre ou André Paradis. D’autres écrivains sont méconnus ; leur manque de visibilité peut donner l’impression d’une stérilité de la créativité littéraire en Guyane – comme piégée par l’image du bagne qui lui a été longuement attachée. Toutefois, en regard de la Créolité, on assiste au développement de la notion très proche de Guyanité dans les années 1990. Ces deux notions sont maintenant interrogées par des jeunes auteurs qui prennent la relève, comme Alfred Alexandre (Martinique), qui se déclare post-créole, ou Miguel Duplan (Guyane)… Après Césaire, grand dramaturge de la décolonisation, on note un développement récent du théâtre, resté longtemps le parent pauvre de la littérature antillaise et qui mériterait une présentation plus circonstanciée. EN GUISE DE CONCLUSION : PETITES LITTÉRATURES EN PRISE AVEC LA MONDIALITÉ Comme beaucoup de littératures postcoloniales, la littérature antillaise a souffert de sa difficulté à émerger, puis à assurer son autonomie, ne disposant pas d’organes de diffusion suffisants et pourvue d’un lectorat pauvre. Elle reste encore largement dépendante du centre hexagonal et de son institution littéraire. Cependant, du doudouisme à la (post)créolité, elle a créé son espace d’expression propre et gagné en reconnaissance et en visibilité. Les notions de créolisation et de Tout-monde glissantiennes , les prix littéraires, les traductions et adaptations filmiques (par exemple de La Rue Cases Nègres), la sauvent d’une relation binaire avec la métropole et concourent à son rayonnement. Les Antilles-Guyane sont de « petits pays », mais leurs littératures sont, de plus en plus clairement, « au cœur nouveau du monde », selon Glissant. «Notre-Dame de Paris», quand le roman de Victor Hugo se fait prophétie18 avril 2019
«Notre-Dame de Paris», quand le roman de Victor Hugo se fait prophétie RFI.fr | Publié le 18 avril 2019 | 11:07 Par Gabrielle Maréchaux Il est précieusement conservé à la Bibliothèque nationale de France (BnF) sur le site François-Mitterrand. Le manuscrit de « Notre-Dame de Paris » raconte l’histoire de ce texte aujourd’hui en tête des ventes des librairies, et rappelle l’amour de Victor Hugo pour sa muse de pierre. Certains passages acquièrent aussi une résonnance bien particulière après l’incendie de la cathédrale de Notre-Dame de Paris. C’est un gros volume à la reliure épaisse et à la couverture de velours rouge, conservé au dix-septième étage de la Bibliothèque nationale. Lorsqu’on l’ouvre, on lit, écrit en gros caractères à la plume, d’une encre brune « Notre-Dame de Paris ». En lettres liées juste en dessous, Victor Hugo, fidèle à une habitude, raconte sur la première page du manuscrit l’histoire de cette rédaction qu’il achève : « j’ai écrit les trois ou quatre premières pages de " Notre-Dame de Paris " le 25 juillet 1830, la révolution de juillet m’interrompit, puis ma chère petite Adèle vient au monde, qu’elle soit bénie, je me remis à écrire Notre-Dame de Paris, le 1er septembre et l’ouvrage fut terminé le 15 janvier 1831. » Rédigé en quelques mois seulement, sous la pression d’un éditeur qui menace de faire payer des pénalités de retard, l’écriture est fine, les ratures sont rares, mais cela ne surprend pas Thomas Cazentre, le conservateur qui veille sur les manuscrits de la Bibliothèque nationale. « Tous les manuscrits de Hugo sont rédigés d’un jet, c’est quelqu’un qui écrivait très vite, certaines de ses pièces ont été écrites en quinze jours, dit-il. Ses manuscrits sont aussi toujours très propres, car Victor Hugo est le premier écrivain français qui conserva tous ses manuscrits, qui les a emmenés avec lui en exil et qui surtout, a veillé à ce qu’ils reviennent, à sa mort, à la Bibliothèque nationale. » La fragilité des vieilles pierres Page après page, c’est ensuite toujours la même disposition étonnante, l’écrivain n’écrit que sur la moitié droite, laissant le vide à gauche, pour d’éventuelles, mais rares, corrections. A intervalle régulier, en haut à gauche, la main hâtive de l’imprimeur écrit en gros le nom de l’ouvrier typographe qui sera chargé de la composition des pages qui suivent, lettres de plomb après lettre de plomb : Eugène, Maréchal, Michel, Levi, Bossu … » Dès la préface, un premier extrait saisit le lecteur qui connaît l’incendie du 15 avril 2019, quand Victor Hugo avertit sur la fragilité de vieilles pierres de la cathédrale, en 1830. « Sans doute c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice, que l’église de Notre-Dame de Paris, mais si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe Auguste qui en avait posé la dernière. Sur la face de cette vieille église, reine de nos cathédrales à côté d’une ride on trouve toujours une cicatrice. » Des mots qui s’imprimèrent dans les consciences des premiers lecteurs et influèrent rapidement sur l’opinion dans les années qui suivent la parution de l’ouvrage, qui coûtait 1 franc à sa parution. En 1843, un chantier de restauration est lancé sous l’égide de l’architecte en vogue à l’époque Eugène Viollet-le-Duc. Les travaux sont achevés en 1864, Victor Hugo est alors exilé, il ne verra la peau neuve de sa muse de pierre qu’à son retour à Paris en 1871. « Une grande flamme désordonnée et furieuse » Mais passé ce prologue qui s’inquiète sur la fragilité de pierres millénaires, un autre passage du manuscrit laisse songeur le lecteur d’aujourd’hui, quand, au livre X, le roman de Victor Hugo semble se faire prophétie de l’incendie. Quasimodo le bossu, élu Roi des fous au début du roman, se trouve sur le toit de Notre-Dame et voit l’armée des brigands monter pendant la nuit à l’assaut de Notre-Dame pour s’emparer d’Esmeralda. Armés d’échelle, ils progressent sur la façade, et voici alors les mots d’Hugo : « Tout d’un coup, il (Quasimodo) se souvint que des maçons avait travaillé tout le jour à réparer le mur, la charpente et la toiture de la tour méridionale, ce fut un trait de lumière, le mur était en pierre, la toiture en plomb, la charpente en bois, cette charpente prodigieuse, si touffue qu’on l’appelait la forêt. » Le stratagème de Quasimodo est alors ingénieux : faire fondre le plomb à l’aide de flammes et le déverser sur les assaillants. Sur les manuscrits où ces mots furent écrits, la plume de Victor Hugo se reprend pour amplifier l’image d’une cathédrale en flammes, constate Thomas Cazentre « on voit qu’il rajoute " si touffue " pour évoquer cette charpente qui est aujourd’hui partie en fumées. Plus loin, il barre le mot étrange pour écrire extraordinaire quand il décrit la scène vue depuis le parvis, et il rajoute " une grande flamme désordonnée et furieuse " dans ce brasier qu’il imagine : " tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église, ce qu’ils voyaient était extraordinaire, sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse, dont le vent emportait par moment un lambeau dans la fumée" ». Un incendie qui démarre sur la charpente à la faveur de travaux de rénovation, la coïncidence malheureuse ne ferait sans doute pas sourire l’écrivain, constate Thomas Cazentre : « Je ne suis pas sûr que ça lui aurait fait plaisir d’être visionnaire sur ce point-là. » Au grès des pages qui achèvent l’ouvrage, le monde de Victor Hugo continue de se déployer, parfois au-delà des mots, avec un dessin de Quasimodo, un plan griffonné du Paris médiéval, la silhouette d’un jongleur tracé à l’encre. Après la rédaction de Notre-Dame de Paris, la silhouette de la cathédrale continuera de hanter les manuscrits de Victor Hugo, qui choisit comme ex-libris ( tampon ou vignette qui marque la possession d’un livre ) la silhouette des deux tours du monument avec ses initiales pour veiller sur la page de garde de tous ses ouvrages. La romancière haïtienne Yanick Lahens finaliste du célèbre prix Goncourt de la nouvelle7 avril 2019
La romancière haïtienne Yanick Lahens finaliste du célèbre prix Goncourt de la nouvelle Rezonodwes.com | Publié le 2 avril 2019 La romancière haïtienne Yanick Lahens figure parmi les trois finalistes de l’édition 2019 du Prix Goncourt de la nouvelle avec son roman titré « L’oiseau Parker dans la nuit » (Sabine Wespeiser), a dévoilé mardi l’Académie Goncourt. Parmi les deux autres écrivains en compétition pour ce prix, se trouve une auteure belge, Caroline Lamarche, «Nous sommes à la lisière» (Gallimard) et un romancier français, Éric Neuhoff, «Les Polaroïds» (Ed. du Rocher). Née le 22 décembre 1953 à Port-au-Prince, Yanick Lahens a décroché le Prix Femina 2014 pour son roman « Bain de lune » et le prix Carbet des lycéens pour « Guillaume et Nathalie ». Première titulaire de la chaire Mondes francophones, Yanick Lahens a prononcé sa leçon inaugurale « Urgence(s) d’écrire, rêves d’habiter » le 21 mars 2019 au Collège de France devant près de 700 personnes. L'Haïtien Jacques Roumain entre dans la « Pléiade » des écrivains francophones20 mars 2019
L'Haïtien Jacques Roumain entre dans la « Pléiade » des écrivains francophones RFI.fr | Publié le 21 mars 201913:21 Rééditées dans une nouvelle collection, les Œuvres complètes de l’écrivain haïtien Jacques Roumain permettent de redécouvrir la puissance et la diversité du talent de ce grand auteur de la Caraïbe francophone, précocement disparu en 1944, à l’âge de 37 ans. La brièveté de son existence, ajoutée aux turbulences de l’histoire haïtienne auxquelles Roumain a été mêlé de près, confèrent à ses textes de nouveau réunis, une intensité et une fulgurance hors du commun. Ce volume des œuvres complètes du Haïtien Jacques Roumain, qui vient de paraître, est le septième de la collection « Planète Libre » aux éditions CNRS. C’est un ouvrage dense qui rassemble l’ensemble de l’œuvre littéraire de l’écrivain (romans, nouvelles, poésies) caribéen, mais aussi ses écrits journalistiques, ses correspondances, des présentations de l’œuvre, des articles critiques par des chercheurs, une chronologie analytique et une bibliographie: 1600 pages pour rendre disponibles tous les savoirs sur l’homme de lettres exceptionnel et talentueux que fut l’auteur de Gouverneurs de la rosée (1944). Créée en 2008 sous l’égide du CNRS et également connue sous le nom de la « Pléiade » des écrivains francophones, la collection « Planète Libre » a pour objectif de réunir dans des éditions scientifiques, dotées d’un apparat critique rigoureux, les œuvres complètes des grands auteurs francophones. Les « Oeuvres complètes » du poète, romancier et journaliste haïtien Jacques Roumain ont été précédées de volumes consacrés à Léopold Sédar Senghor, Jean-Joseph Rabearivelo, Aimé Césaire, Albert Memmi et Sony Labou Tansi. Modernité de Jacques Roumain Pourquoi Jacques Roumain ? La question se pose car la littérature haïtienne est particulièrement riche en grands écrivains et compte au moins une dizaine d’auteurs de niveau international qui mériteraient d’entrer dans une collection mémorielle et prestigieuse comme « Planète libre ». Pour Yves Chemla, professeur à l'IUT de Paris, qui a coordonné cet ouvrage en binôme, avec le plus grand spécialiste des lettres d’Haïti, le regretté Léon-François Hoffmann, la réponse à la question « Pourquoi Roumain ? », se trouve dans la « très grande modernité » de l'œuvre de cet auteur à facettes multiples. C’est une œuvre qui rappelle, selon le spécialiste, le Français Zola ou le Russe Gorki, car comme eux « il met le petit peuple au premier plan, capable de prendre en charge son histoire et son destin ». De ce point de vue, Gouverneurs de la rosée, le chef d’œuvre de Roumain, devenu un classique mondial, est emblématique de l’art de cet auteur. Qualifié de « récit paysan », ce roman posthume qui raconte la vie et la mort dans Haïtiprofond, au sein d’une paysannerie confrontée aux intempéries de la nature et aux injustices politiques, ne tombe pas dans l'écueil de la narration ethnologique et réussit à mettre en scène des êtres de chair et de sang auxquels le lecteur peut s’identifier. « On est loin de l’épopée des guerres coloniales qui ont inspiré les premiers auteurs haïtiens, poursuit Yves Chemla. Avec Jacques Roumain, Haïti tourne aussi la page de la littérature coloniale du XIXe qui avait du mal à prendre ses distances par rapport à ses modèles occidentaux. » La modernité de cet auteur réside aussi dans l’inventivité de sa langue, comme l’a écrit Léon-François Hoffmann dans son article de présentation de l’homme et l’œuvre. « C’est en inventant une langue "polyphonique", faite de niveaux différents de français, de français archaïque, de français créolisé, de créole, de créole francisé, de néologismes et de calques d’un registre sur l’autre que Jacques Roumain a profondément marqué non seulement l’écriture haïtienne, mais la francographie en général ». Journaliste, poète et romancier Le futur écrivain est né en 1907, dans une famille aristocratique et prospère, avec un grand-père qui fut plusieurs fois ministre et président de la République. Il a huit ans lors du débarquement des marines nord-américains en Haïti qui mettent le pays sous tutelle. Le spectacle quotidien des exactions dont est victime le petit peuple, mais aussi les gens de son milieu élitiste, suscite chez le petit Jacques la haine des soldats yankees et un sens aigü de nationalisme patriotique qui deviendra une des sources d’inspiration majeures de Roumain poète et romancier. Mais c'est surtout en tant que journaliste que Roumain s'inspire de la pensée nationaliste. Les « Oeuvres complètes » est la première publication à réunir une grande partie de sa production journalistique du poète. Rendant compte des thématiques et de la tonalité des écritures journalistiques de Jacques Roumain, Léon-François Hoffmann écrit : « (…) la plupart des articles dénoncent, plus encore que le racisme et la brutalité des soudards américains, la veulerie de ceux qui les ont accueillis et se sont mis à leur service, soit par manque de confiance dans leur propre pays soit pour les avantages matériels qu’ils espèrent tirer ». Cette rage dont témoignent les articles de journaux de Jacques Roumain, explique aussi sans doute l’intérêt qu'affiche l’écrivain pour les petites gens, les opprimés, les paysans qui sont eu cœur de son oeuvre littéraire. C’est en Europe où il est envoyé au terme des études secondaires pour parfaire sa formation et se spécialiser en agronomie, que le jeune homme s’initie aux grandes littératures occidentales et aux langues européennes : l’allemand, l’espagnol, l’anglais, le français. D’ailleurs, une partie de son œuvre littéraire est composée de traductions des textes cubains et allemands. L’écrivain haïtien René Depestre qui avait rencontré Roumain en 1943 se souvient encore, comme il l’écrit dans un texte liminaire de ces « Oeuvres complètes », comment son aîné « mit le feu aux poudres de (son) imagination » en lui de Faulkner et de Joyce, de Malraux et de Kafka, d’Hemingway et de Proust, de Maïakovski et de Lorca ». Sa propre œuvre, Jacques Roumain la rédige entre 1925, alors qu’il est encore en Europe, et sa mort précoce survenue en Haïti, en 1944. Cette oeuvre est composée d’essais qui sont autant de professions de foi communistes, publiées dans les pages des revues aux titres prometteurs : « La Trouée » et « La Revue indigène ». Ces essais qui relèvent surtout de la théorie littéraire font l’apologie d’une littérature engagée, au service du « combat pour la défense et illustration de l’authenticité nationale d’une part, et pour la libération du territoire et les réformes sociales de l’autre », décrypte Léon-François Hoffmann. La poésie de Jacques Roumain, composée en partie en Europe pendant ses années d’études et plus tard entre 1936 et 1941 lorsqu’il est exilé à Paris suite à sa fondation du Parti communiste haïtien, et en partie en Haïti, témoigne de l’évolution de la sensibilité du poète, passant du romantisme mélancolique à la poésie révolutionnaire et politique. Les poèmes qui constituent le recueil posthume Bois-d’ébène, évoquant la réalité haïtienne mais aussi la passion de l’homme noir, à la manière des poètes américains de la « negro-renaissance » dont l’Haïtien avait été proche. Dans la partie de ce volume consacré plus spécifiquement aux fictions de Jacques Roumain, on pourra lire La Montagne ensorcelée et Gouverneurs de la rosée, deux romans qui ont fait la réputation de l’écrivain, mais aussi ses nouvelles qu’éditeurs et critiques ont négligées au profit de ses romans. Chargé de présenter l’œuvre romanesque de Roumain, l’universitaire Jean Michael Dash attire l’attention sur l’importance des nouvelles qui préfigurent, selon l’analyste, les motifs que le ro romancier haïtien va développer avec plus de moyens narratifs dans ses romans, notamment le thème de sa propre révolte contre son milieu social bourgeois et prospère. « Cette crise est exacerbée, rapporte Dash, par le scandale d’une élite se concevant comme la seule représentante de la nation, méprisant la majorité paysanne de la population, et incapable de se réformer. » Ecrites entre 1928 et 1931, les nouvelles qui constituent deux recueils peu connus de l'écrivain, La Proie et l’ombre et Les Fantoches sont les révélations de ces « Oeuvres complètes », dont l’une des ambitions était, selon le coordinateur du volume Yves Chemla, de faire découvrir la « cohérence d’une vie et d’une œuvre ». Une ambition très largement réussie, mais pour s’en rendre compte il ne faudra pas se laisser décourager par le format volumineux des ouvrages de la collection « Planète libre ». Ce format si peu « reader-friendly » est peut-être le seul défaut qu’on puisse reprocher à ces volumes qui nous donnent à lire « l’insoutenable légèreté du monde ». Jacques Roumain : Œuvres complètes. Edition critique coordonnée par Léon-François Hoffmann et Yves Chemla. Collection « Planète libre », CNRS éditions, 1587 pages, 45 euros. Francophonie : La leçon inaugurale de Yanick Lahens en direct du collège de France15 mars 2019
Francophonie : La leçon inaugurale de Yanick Lahens en direct du collège de France Francais a letranger.fr | Publié le 13 mars 2019 La leçon inaugurale sera retransmise en direct le 21 mars sur le site du collège de France https://www.college-de-france.fr/site/yanick-lahens/Retransmission-en-direct-li-Yanick-Lahens.htm Yanick Lahens, est une écrivaine haïtienne (prix Femina 2014 pour son roman « Bain de lune ») qui a reçu de nombreuses distinctions d’institutions haïtiennes et internationales, et est officier des Arts et des Lettres de la France. Elle est la première personnalité à occuper la chaire « Mondes francophones » créée en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et le Collège de France. La chaire « Mondes francophones » a pour objectif principal de mieux faire connaître la recherche et l’enseignement de grandes personnalités de la francophonie qui, par leurs travaux, en illustrent la production scientifique et culturelle. Le Collège de France et l’AUF entendent ainsi illustrer la diversité et la richesse des mondes francophones en donnant une tribune aux chercheurs des pays ayant le français en partage. Créée pour trois ans, cette chaire accueillera chaque année une grande voix de la francophonie issue de différents domaines des lettres, des arts et des sciences. Selon le Pr Antoine Compagnon, titulaire de la chaire Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie, Yanick Lahens est « une personnalité remarquable de la littérature et de la culture en langue française ». La leçon inaugurale de Yanick Lahens ainsi que l’ensemble de son enseignement bénéficieront d’une large diffusion grâce au relais privilégié de RFI (France Médias Monde), de TV5MONDE, du réseau des campus numériques francophones de l’AUF, et de l’Institut français, qui soutiennent la diffusion des travaux de la chaire Mondes francophones. « Avec la création de cette chaire, le Collège de France souhaite donner une tribune et un nouvel espace d’enseignement et de recherche aux intellectuels et scientifiques majeurs des pays francophones. Il s’agit de faire entendre les voix riches et multiples qui œuvrent dans ces pays et à travers la langue française au développement de la science et de la pensée. Il s’agit de développer l’idée d’un espace francophone structuré et structurant dans le paysage international de la recherche et du débat d’idées », note le Pr Alain Prochiantz, Administrateur du Collège de France, titulaire de la chaire Processus morphogénétiques. Les cours débuteront, eux, à compter du 1er avril – ouverts à tous et gratuits, sous réserve d’inscription. « Avec la création de cette chaire, le Collège de France souhaite donner une tribune et un nouvel espace d’enseignement et de recherche aux intellectuels et scientifiques majeurs des pays francophones. Il s’agit de faire entendre les voix riches et multiples qui œuvrent dans ces pays et à travers la langue française au développement de la science et de la pensée. Il s’agit de développer l’idée d’un espace francophone structuré et structurant dans le paysage international de la recherche et du débat d’idées », note le Pr Alain Prochiantz, Administrateur du Collège de France, titulaire de la chaire Processus morphogénétiques. Ma "rentrée littéraire" - post vacances en Martinique - Mon choix de 6 ouvrages à découvrir...1/20/2019 Ma "rentrée littéraire" - post vacances en Martinique - Mon choix de 6 ouvrages à découvrir...20 janvier 2019
Ma "rentrée littéraire" - post vacances en Martinique - Mon choix de 6 ouvrages à découvrir... Par la Rédaction du Blog d'Edwidge- Mon récent séjour de deux semaines en Martinique m'a réconciliée avec énormément de choses - parmi lesquelles la lecture. Réconciliée? Oui, parce que depuis bientôt 6 mois, je me suis attelée de manière quelque peu décousue à la rédaction de mon premier ouvrage. Un projet qui traine en raison partiellement de la frénésie de ma vie professionnelle. Lenteur ô combien pénible qui a suscité chez moi une légère frustration et remise en question d'un certain nombre de choses. Ceci dit, je me suis solennellement engagée à finaliser ce projet personnel d'une importance créative et lénifiante capitale d'ici la fin de cette année 2019... Dans l'intervalle, au cours de mes visites - escapades aux diverses librairies de Fort de France, j'ai eu le bonheur de retrouver nombre d’auteurs qui, il y a une décennie à peine, faisaient figure de voix nouvelles et prometteuses du paysage littéraire, et se sont imposés depuis lors comme nos contemporains capitaux. J'ai donc sélectionné ces quelques titres, qui m'ont particulièrement émus, séduits, emballés... 1. Black is Black de Raphaël Confiant Fatigué par l'écrasant soleil de sa chère île, la Martinique, et par l'abus du « rhum-vodka », Abel est un romancier tropical en panne d'inspiration. Un héritage colossal provenant de sa grand-mère abhorrée lui permet tout à la fois de noyer son chagrin d'amour pour Anna-Maria de la Huerta, belle-de-nuit d'Hispaniola, partie sans crier gare, et de se réfugier au bord de la Seine en compagnie de son éternel ami, Saint-Martineau, le mathématicien le plus réputé, des bayous de la Louisiane jusqu'aux bords de l'Orénoque. Embourbé dans la rédaction d'un roman au titre improbable, Parcours d'un corps, qui commence romantiquement, se poursuit érotiquement et s'inachève pornographiquement, notre homme se laisse prendre aux sirènes d'un prophète de la régénération de la race noire, promettant à ses fidèles qu'ils seront rapatriés sur la terre-mère africaine grâce à l'évocation des dieux de l'Égypte antique. Poursuivant dans la veine sarcastique, parfois cynique, qu'il avait inaugurée avec Bassins des ouragans (1994) et La Baignoire de Joséphine (1997), Raphaël Confiant nous donne à lire l'autre face de son œuvre. Sans sacrifier à la quête identitaire et à la revendication politique, il offre une image dévastatrice de la société coloniale triséculaire des Antilles. Tout y est moqué, pour la plus grande joie du lecteur. Un grand bol de rire! 2. Morne Pichevin de Raphaël Confiant À l'âge de vingt-six ans, venant de sa campagne du nord de la Martinique, Homère arrive en ville pour tenter de « faire quelque chose de sa vie ». Là, au Morne-Pichevin, quartier de djobeurs et de malfrats qui domine le port de Fort-de-France et où il décide de prendre domicile, il rencontre la belle Adelise, Négresse par tous convoitée qui, pour se guérir des chimères de la ville, écrit en créole son « lexique intime ». Mais, en proie lui aussi à ses propres tourments, des souvenirs le harcèlent: ceux de sa mère, vaillante travailleuse de la terre, de son frère ServiusCongo, maître-conteur et amateur de joutes gallodromiques, de Ginotte, de Mérilise... Et il aura beau faire, il aura beau se gourmer de toutes ses forces dans les entrailles du Morne-Pichevin, Homère ne pourra échapper à son destin.Voici, renouvelé, l'univers romanesque foisonnant de Raphaël Confiant, qui fait preuve une lois de plus d'un immense génie verbal. 3. L'Ombre du Dorlis de Lucie Gabourg Anna est originaire d’Inde. Elle débarque en Martinique accompagnée de son époux et de leurs deux fils avec qui elle décide de s'installer dans le centre. Elle s'y plaît bien dans ce pays et s'adapte à la vie antillaise sans trop de difficultés, jusqu'au matin de ce jour où, contrairement à ses habitudes, elle se réveille nue. Commence alors son calvaire, une lutte acharnée contre celui qui la possède tous les soirs, un dorlis. Après des années, allant de découverte en découverte, elle apprendra que la réalité est tout le contraire de ce que son époux a pu lui laisser croire. 4. Au revoir Man Tine de Mérine Céco Il y eut l’époque de Man Tine, des enfants, comme José Hassam, le héros de La Rue Case-Nègres, roman de Joseph Zobel, précurseur de la Créolité, qui, grâce à la ténacité et au courage sans faille de parents ou de grands-parents, ont pu « apprendre à l’école », comme on disait, et sortir de la misère noire de l’Habitation. Ces enfants, dont la littérature de nos pays n’a jamais vraiment suivi la trace, ont grandi, sont devenus pour beaucoup des fonctionnaires de la classe moyenne. Mais sans conscience d’être les victimes d’un détournement de mémoire et d’histoire. Ils n’ont pas lu les pages des rescapés de l’Autre monde qui, lettre après lettre, de Césaire à Confiant en passant par Schwarz-Bart, se sont évertués à raconter leur Histoire. Ces enfants-là n’ont jamais dit au revoir à Man Tine. En douze nouvelles comme autant de madeleines, Merine Céco revient avec un sens aigu de l’observation sur la Martinique de son enfance, composant une mosaïque, cohérente et saisissante, dans le sillage des textes d’une Créolité en devenir. Une quête à rebours de l’amnésie, un parcours nostalgique à la recherche de fantômes trop vite oubliés. 5. Quand un homme aime une femme de Steve "Fola" Gadet "Quand un hommes aime une femme, que devrait-il faire et dire? C'est le fil rouge de ce livre. Sujet ancien mais inépuisable. Il est pensé par un homme pour les hommes et les femmes qui vivent avec eux. Je n'écris pas ce livre parce que je suis un expert des relations amoureuses ni parce que mon couple fonctionne parfaitement bien. Non, je l'écris pour deux raisons. La première, c'est parce que je suis écrivain et que les écrivains écrivent sur tout ce qui les touche. La deuxième, c'est peut-être parce que je suis un enfant du divorce et que la vie de coupe m'interpelle depuis longtemps. Chaque chapitre est écrit à la lumière d'une chose que l'homme amoureux devrait faire..." 6. Quand une femme aime un homme de Steve "Fola" Gadet L'auteur poursuit la réflexion abordée dans son précédent livre. "Ce qui compte, c'est le questionnement qui ressort de cette lecture, savoir si dans la vie de tous les jours, on est proche ou très très loin, de ce que l'auteur nous conseille de mettre en oeuvre, pour notre couple. Les conseils donnés paraissent à la première lecture tellement évidents, qu'on se demande pourquoi avoir besoin de lire un livre, pour savoir tout cela. Pourtant, dans la vie de tous les jours, on se laisse aller à la routine, au quotidien, et on se dit advienne que pourra. Pourtant, en se remettant un peu en question, on peut redonner du goût à beaucoup de choses. Et quand on débute une relation, on peut justement éviter des erreurs, qui mèneront à la perte de notre amour. Je trouve cet auteur vraiment juste, il donne une place équivalente à la femme et à l'homme, tout en respectant les désirs de chacun. Il démontre qu'en étant attentif l'un à l'autre, on ne peut que se faire du bien, s'entraider, et grandir ensemble. Il parle de Dieu, mais aussi de l'amitié, du besoin d'être seul parfois, des enfants, de la tentation, du sexe. Autant de choses dans un si petit bouquin." www.totalementslaury.com La Guadeloupéenne Maryse Condé a reçu le prix Nobel "alternatif" de littérature 11 décembre 2018
La Guadeloupéenne Maryse Condé a reçu le prix Nobel "alternatif" de littérature Guadeloupe 1ere.fr | Publié le 10 décembre 2018 | 12:18 Par Camila Giudice L'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé a reçu dimanche 9 décembre, officiellement, le prix Nobel "alternatif" de littérature à Stockholm. Le prix avait été attribué le 12 octobre dernier à celle qui a notamment écrit Segou, La vie scélérate et Moi, Tituba sorcière. Les organisateurs ont offert à Maryse Condé une statue représentant une femme, dressée sur un livre et pleine de "force, passion et courage". "Quelque chose que l'on retrouve dans vos livres et en vous", ont-ils ajouté. "On peut devenir écrivain qu'on soit femme ou noire" Très émue, la Guadeloupéenne a pris la parole et remercié le jury, ses proches et ses lecteurs. Elle s'est ensuite plongée dans ses souvenirs pour raconter au public sa découverte de l'oeuvre d'Emilie Brontë, cruciale dans sa vocation d'écrivaine : Quand j’avais 10 ou 12 ans, une amie de ma mère m’a offert un livre pour mon anniversaire. L’auteur du livre s’appelait Emily Brontë, le livre "Les Hauts de Hurlevent". En Guadeloupe, où je vivais, personne n'en avait entendu parler. Mais dès que j'ai lu quelques pages, c'était pour moi qu'il avait été écrit. [...] Le lendemain, j'ai couru chez l’amie de ma mère pour la remercier de son cadeau et lui décrire l’effet qu’il avait produit en moi. Naïvement j’ai ajouté : "Un jour, tu verras, moi-aussi je deviendrai un écrivain". Elle m'a regardé avec un peu de tristesse : « Tu es folle ? Les gens comme nous n’écrivent pas ! » Grâce à ce prix, je réalise qu'elle s'est trompée. Avec cette histoire, Maryse Condé a insisté sur le fait qu'"on peut devenir écrivain, qu'on soit femme, noire ou originaire d'un tout petit pays". Elle a ensuite partagé ce prix avec son époux, et traducteur en anglais, Richard Philcox, "avec qui on a réalisé qu'on était ensemble depuis un demi siècle", a-t-elle ajouté avec malice. "Sa parole a été mon oxygène constant", a-t-elle déclaré. De la fierté et du bonheur pour les Guadeloupéens La Guadeloupéenne a poursuivi son discours en dédiant son prix à son île natale, rappelant son engagement politique au sein de l'Union populaire pour la libération de la Guadeloupe. "La Guadeloupe a un peu disparu du monde, a-t-elle expliqué. On n'en parle que dans deux occasions : la route du rhum et les cyclones. D'un côté, les occidentaux s'amusent, de l'autre nous pleurons." "Côté casse-tout" Présentes dans la salle, Christiane Taubira et Françoise Vergès ont dit de ce prix Nobel "alternatif" qu'il "ressemblait" à Maryse Condé? La raison selon cette dernière? Son côté "casse-tout", qui défie les normes : En réponse à @la1ere Ses amies Christiane Taubira et Françoise Vergès étaient présentes dans la salle, et ont dit de ce prix Nobel alternatif qu'il lui "ressemblait". La raison? D'après Maryse Condé, c'est surement à chercher dans son côté "casse-tout" qui défie les normes 20 14:07 - 9 déc. 2018 Engagée contre le colonialisme A 81 ans, c'est une nouvelle marque de reconnaissance pour le travail de cette artiste engagée, plume majeure de la littérature caribéenne. "Dans ses oeuvres, avec un langage précis [Maryse Condé] décrit les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme", ont déclaré les organisateurs du prix. L’écrivaine Yanick Lahens porte le flambeau de la francophonie au Collège de France8 juillet 2018
L’écrivaine Yanick Lahens porte le flambeau de la francophonie au Collège de France La Croix.fr | Publié le 4 juillet 2018 | 15:00 Par Marie Verdier L’écrivaine haïtienne Yanick Lahens inaugure la nouvelle chaire « mondes francophones » du Collège de France. Elle espère ouvrir les esprits français aux savoirs d’ailleurs et aux études post-coloniales. Tout finit par arriver. Le Collège de France, temple du savoir et du débat d’idées depuis François 1er, terre d’accueil des grands esprits scientifiques de la planète, s’ouvre au bout de cinq siècles d’existence aux mondes francophones. Il y avait eu une première bouffée d’oxygène avec Alain Mabanckou, lorsque l’écrivain franco-congolais occupa la chaire de création artistique en 2016. L’institution va plus loin en créant, pour trois ans, en partenariat avec l’agence universitaire de la Francophonie, une chaire « Mondes francophones ». Yanick Lahens, l’écrivaine haïtienne de 65 ans et auteure d’une riche œuvre – dont le tout récent roman Douces déroutes et le prix Femina 2014 pour Bain de Lune (1) – en sera la première titulaire au printemps 2019, a fait savoir mercredi 4 juillet le Collège de France. « Il est temps de décoloniser le savoir ! » Yanick Lahens n’est pas mécontente de mettre un pied dans la porte. « Vu de France on n’imagine pas ce qui se passe ailleurs, il est temps de décoloniser le savoir ! », s’enflamme-t-elle en saluant l’innovation du Collège de France. Elle applaudit aux « s » de mondes francophones qui attestent de l’existence de plusieurs mondes, qui permettent de décentrer la question par rapport à la France et de parler de savoirs partagés. « Ce qui n’est pas le cas, n’importe quel jeune Haïtien en sait plus sur la France qu’un agrégé ou diplômé français de l’université sur Haïti », déplore-t-elle. Selon elle, la recherche française a fait jusqu’ici œuvre d’une extrême frilosité en n’entamant aucune réflexion sur la question post-coloniale. C’est aux États-Unis, à l’université de Duke (Caroline du Nord) qu’a été créé un laboratoire d’études haïtiennes. Faire vivre les liens entre la France et Haïti« Des chercheurs américains sont venus exhumer des archives françaises la littérature épistolaire inconnue de Toussaint Louverture !, regrette-t-elle en évoquant l’ancien esclave et chef de la révolution haïtienne de la fin du XVIIIe siècle. Or la France et Haïti ont une histoire et une mémoire partagée ». Cette histoire, cette mémoire, Yanick Lahens entend les faire vibrer dans la série de cours qu’elle donnera au printemps prochain, au travers de la foisonnante littérature haïtienne, incarnation de l’histoire du pays et écho brûlant des enjeux actuels. « Dès le XVIIIe siècle, la littérature de Haïti est une littérature de l’urgence, urgence de dire et rêve d’habiter, analyse-t-elle, comment des populations d’Afrique et d’Europe transportées peuvent-elles former une civilisation, revendiquer l’humanité qui leur avait été déniée, et qui continue à l’être ? » Haïti, berceau de la modernité Quelle terre plus que Haïti, berceau de la modernité, là où les Lumières ont achoppé sur les rêves d’égalité et d’universalité, incarne mieux les questions d’identité, de vulnérabilité et de mobilité ? Sur la route des cyclones comme sur celle des migrations. « Partir ou rester ? Cette question s’est toujours posée à Haïti – et a marqué toute la littérature –, comme dans tous ces pays qui constituent la majorité du monde où il est difficile de vivre », admet-elle. Quant à la notion d’identité, Haïti au travers de sa diaspora en casse le supposé caractère monolithique « en soulignant les doubles et triples appartenances, en montrant que la langue n’a pas qu’une seule patrie ». Restera pour la recherche française à pousser la porte entrouverte par Yanick Lahens sur les inconnues haïtiennes. Marie Verdier Comment Haïti sauva des Juifs29 juillet 2017
Comment Haïti sauva des Juifs Le Point.fr | Publié le 10 avril 2017 | 17:03 Par Valérie Malin Lameslée Sait-on qu'Haïti, en 1939, adopte un décret-loi octroyant la naturalisation haïtienne immédiate à tous les Juifs désireux de l'obtenir ? Ce pan méconnu de l'histoire inspire à l'écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert son nouveau roman, formidablement enlevé, intitulé Avant que les ombres s'effacent. Son talent allège le poids des tragédies du XXe siècle qu'il parcourt, de la Pologne où naît son héros, jusqu'à Port-au-Prince où il vit ses derniers jours. Médecin juif polonais, né à Lodz en 1913, Ruben Schwarzberg, émigré en Allemagne, devient par les hasards de la vie un citoyen haïtien en 1941. Il ne quittera plus l'île de Toussaint Louverture, ce havre improbable où il a construit sa vie après un parcours tumultueux qu'il relate, une nuit durant, à sa petite cousine, venue avec une ONG israélienne porter secours à la ville détruite par le séisme en 2010. Buchenwald, Cuba, Paris De Berlin, où les persécutions obligent toute la famille du jeune homme à fuir, les uns aux États-Unis, les autres en Palestine, Ruben, miraculeusement réchappé de Buchenwald avec son oncle, passe par Cuba et arrive à Paris. La diaspora haïtienne lui tend les bras, c'est peu dire, qu'il s'agisse d'une belle femme mûre, d'un célèbre poète, Roussan Camille, qui œuvre, au sein de la Délégation, à lui accorder la nationalité haïtienne, ou encore de la poétesse Ida Faubert qui l'héberge. Au milieu des frayeurs, Ruben a compris que vivre passe par la débrouillardise, la jouissance de l'instant et la confiance en certains justes. Solidarité humaine Cette traversée épique et délicieusement rocambolesque de la Seconde Guerre mondiale est portée à partir d'un épisode documenté, par l'imagination du romancier qui conjugue son érudition, son expérience du nomadisme et du croisement des cultures. Il narre cette aventure avec tendresse, humour, et réussit aussi bien à installer les ambiances (de l'immeuble familial à Berlin au Bal nègre, sans oublier les soirées poétiques) qu'à incarner ses personnages dans une langue charnue, tonique et bondissante. Livre d'hier et d'aujourd'hui, Avant que les ombres s'effacent est un voyage littéraire formidablement constructif où la solidarité humaine défie et défait les murs... Itinérance créoleEn marche sur la terre en est un autre, en poésie cette fois, puisque c'est le titre du dernier recueil de poèmes de Dalembert, qui y poursuit son itinérance créole (il était invité au festival de Deauville « Livres et musiques » sur le thème des Littératures créoles) le regard ouvert sur un monde métissé, à partir du petit pays natal, « un grain de sable sur la carte du monde, longtemps je l'ai confondu au tracé de la terre ». Et le cœur plein de son « enfance haïtienne » : dans un ouvrage collectif qui porte ce titre et réunit de très belles plumes haïtiennes, il a extrait un souvenir au prisme du cinéma qui faisait les beaux jours de son quartier populaire, à Port-au-Prince : comme tous les adolescents, le jeune Louis-Philippe, particulièrement cinéphile, se demande bien pourquoi, mais pourquoi donc, il leur a été interdit d'assister à la projection du Dernier tango à Paris ! Un récit adorable, et du monde entier, lui aussi. « Avant que les ombres s'effacent » de Louis-Philippe Dalembert, Sabine Wespieser éditeur, 296 pages, 21 euros. « Une enfance haïtienne », textes recueilllis par Guy Régis Jr, Haute enfance, Gallimard, 160 pages, 13,50 euros "En marche sur la terre", de Louis- Philippe Dalembert, ed Bruno Doucey, 136 pages, 15 euros. |
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