Le Monde.fr | 01.10.2013 à 18h10 • Mis à jour le 02.10.2013 à 07h18 | Par Hélène Sallon Le président Barack Obama est déterminé à ne pas céder aux pressions, misant sur l'impopularité de la décision de blocage républicaine. Le processus est, à ce stade, "perdant-perdant", estime ainsi Vincent Michelot, politologue et spécialiste des Etats-Unis à Sciences Po Lyon. Plusieurs scénarios sont désormais envisageables. Cette crise est à imputer à un groupe de représentants républicains à la Chambre inféodés ou affiliés au Tea Party, qui représentent une minorité d'une cinquantaine de représentants sur les 235 élus de la majorité républicaine. "Ce groupe a décidé de rompre avec les pratiques passées de négociation en liant le vote sur l'extension budgétaire et le relèvement du plafond de la dette à l'obtention de concessions de la présidence sur des dossiers qui n'ont rien à voir. Ils ont pris en otage les deux votes pour obtenir une concession sur une loi-phare de Barack Obama", analyse Vincent Michelot. Les affiliés républicains du Tea Party ont réussi à imposer leur ligne à un moment où on les disait pourtant affaiblis, après la réélection de Barack Obama pour un second mandat. L'échec du candidat républicain à la présidentielle, Mitt Romney, avait été largement imputée à sa tentation de céder aux extrêmes, notamment sur l'immigration. Leur jusqu'au-boutisme a ainsi été dénoncé dans les rangs mêmes du parti. David Nunes, le représentant de Californie, a qualifié le 30 septembre leur intransigeance de "suicide collectif" pour le parti républicain Le président républicain de la Chambre, John Boehner, considéré comme l'un des "speakers" les plus faibles de l'histoire de la Chambre, n'a pas réussi à imposer une discipline de parti à cette minorité de radicaux. "John Boehner n'était pas en position de s'opposer à eux car, sans eux, il n'a plus de majorité et parce qu'il ne pouvait pas risquer d'apparaître comme celui qui a compromis la pureté conservatrice des répresentants républicains", relève Vincent Michelot, qui voit en lui une victime collatèrale de cette crise politique. Le speaker a ainsi laissé se jouer "un jeu de dupes entre les deux Assemblées" pour ne pas risquer de perdre son poste, estime la correspondante du Monde à Washington, Corine Lesnes. En quoi l'issue de cette crise pourrait-elle être favorable au président Obama ? "Une faction d'un seul parti d'une seule chambre au Congrès, dans une seule branche du pouvoir [le législatif] ne peut pas fermer l'intégralité du gouvernement juste pour rejouer les résultats d'une élection", a déclaré le 30 septembre le président Barack Obama. L'entourage d'Obama se sent conforté par sa victoire à la présidentielle de novembre 2012 et par les 5 millions de voix d'avance qu'il avait sur le républicain Mitt Romney. Le candidat républicain avait donné dans sa campagne la priorité à la remise en cause de l'Obamacare. Les candidats démocrates au Congrès ont réuni 1,4 million de votes de plus que les républicains, une avance perdue en termes de sièges du fait d'un découpage électoral favorable aux républicains. L'optimisme de l'administration Obama est conforté par une opinion américaine majoritairement favorable au président dans la crise actuelle. Ainsi, plus de six Américains sur dix se sont dit défavorables à la façon dont les républicains gérent la crise sur le budget, selon un sondage ABC News/Washington Post du 30 septembre. Une opinion que la présidence n'a eu de cesse de mobiliser. "La Maison Blanche rejette la responsabilité de la crise sur les républicains et en appelle à une forme de patriotisme économique. Ainsi qu'à la tradition : malgré la dureté de l'opposition républicains-démocrates, aucun camp n'avait autant instrumentalisé ces deux processus par le passé", note Vincent Michelot. Le précédent "shutdown" qui avait mis aux prises le président démocrate Bill Clinton à l'opposition républicaine, en 1995-1996, offre un précédent réconfortant pour l'administration Obama. Il avait été, dans l'opinion, largement favorable au président Clinton et dévastateur pour l'image du camp républicain. La question demeure de savoir si une fermeture prolongée des services publics, et son impact économique, n'auront pas à terme de conséquences négatives sur l'image du président américain. Ce dernier parie par ailleurs sur le succès de la mise en place de la partie la plus visible de l'Obamacare le 1er octobre, l'instauration notamment de subventions pour offrir une assurance-santé aux 50 millions d'Américains non assurés, pour se gagner le soutien d'une partie plus grande de l'opinion. En quoi le blocage pourrait-il bénéficier aux républicains ? Cette crise politique intervient à un moment où le président Obama se trouve en mauvaise posture dans les sondages. Les républicains parient désormais sur un échec de la mise en place de l'Obamacare. Un échec qui n'est pas à exclure au vu de la complexité du système et des faibles attentes qu'en ont les potentiels assurés. Cette crise pourrait par ailleurs être vue comme le résultat de l'échec du président Obama à convaincre les Américains du bien fondé de cette réforme, lors du vote en 2010. "Barack Obama n'est pas totalement convaincant dans sa posture de fermeté car il a par le passé, et notamment en 2012, souvent accepté de négocier", indique en outre Vincent Michelot. Il estime que Barack Obama pourrait être placé dans une position difficile si, au sein de son parti et du parti républicain, les grandes personnalités plus modérées, restées jusqu'à présent discrètes pour laisser voix aux extrêmes, poussaient à une solution de compromis. Un compromis favorable aux deux camps pourrait toutefois être trouvé, sur des éléments moins visibles et douleureux que l'Obamacare, mais il devra inclure un accord sur les deux volets (budget et dette). Les républicains ne parviendront pas à faire chuter l'administration Obama par le biais de cette crise mais ils ont en ligne de mire les mid-terms, les élections de mi-mandat qui se tiendront en 2014. Les élus républicains qui jouent actuellement la politique du pire sont ceux-là même qui ont été élus en 2010, en pleine vague Tea Party et en plein débat sur l'Obamacare. En adoptant cette position extrémiste, ils jouent leur réélection auprès d'une base électorale fortement opposée à l'Obamacare. Cette loi est vécue par eux comme une intrusion de l'Etat dans la vie privée des citoyens. Le découpage électoral leur est par ailleurs favorable. Vincent Michelot estime toutefois que les républicains n'ont pas beaucoup à gagner d'une crise politique prolongée. "Il y a un mois, ils avaient peut-être regagné une majorité au Sénat et conforté leur majorité à la Chambre. Aujourd'hui, le discrédit jeté par les Américains sur le Congrès, avec 90 % d'opinions défavorables, pourrait donner lieu à un revers électoral républicain", poursuit le politologue. En cas d'échec de la stratégie jusqu'au-boutiste des représentants affiliés au Tea Party, cela pourrait tout de même faire le jeu du "speaker" de la Chambre des représentants, John Boehner. Actuellement marginalisé par cette minorité radicale, il pourrait à terme regagner une marge de manœuvre si preuve est faite que leur extrémisme à fait le jeu du président Obama. Affaibli dans ses propres rangs, John Boehner a pu préférer laisser la crise se dérouler, et les expressions les plus radicales s'exprimer pour leur offrir un défouloir et les apaiser, avant de les remettre au pas lors de la bataille la plus importante, qui aura lieu d'ici au 17 octobre sur le relèvement du plafond de la dette. "Il va falloir que le speaker exerce un pouvoir quasi disciplinaire sur certains de ses représentants pour obtenir des concessions", conclut Vincent Michelot.
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