Etats-Unis: Le naufrage du vaisseau Etat10 juin 2017
Etats-Unis: Le naufrage du vaisseau Etat RTBF.be | Publié le juin 2017 | 8:15 Par Paul Krugman Après la victoire surprise de Donald Trump aux élections, beaucoup de gens à droite et même au centre ont tenté de défendre l’idée qu’il ne serait pas si terrible. A chaque fois qu’il a fait preuve d’une once de retenue – même s’il ne s’agissait de rien de plus que de lire ses répliques sans rajouter des choses et laisser Twitter tranquille pendant un jour ou deux – les experts se précipitaient pour déclarer qu’il venait de "devenir président". Mais pouvons-nous aujourd’hui admettre qu’il est vraiment aussi terrible – voire pire – que ce qu’avaient prédit ses détracteurs les plus rudes ? Et il ne s’agit pas seulement de son mépris de la loi, qui est apparu extrêmement clairement dans le témoignage de James Comey : ainsi que le chercheur en droit Jeffrey Toobin le dit, qu’est-ce qu’une obstruction à la justice si ça, ça n’en est pas une ? Il y a aussi la façon dont la personnalité de Trump, ce mélange d’agressivité mesquine et de pure fainéantise, le rend clairement incapable de faire ce travail. Et c’est un énorme problème. Réfléchissez un instant aux dommages causés par cet homme en à peine cinq mois sur de très nombreux plans. Obamacare Prenons la santé. L’on ne sait pas encore très clairement si les républicains vont être un jour en mesure de faire voter un remplacement à l’Obamacare (même s’il est clair que s’ils y arrivent, des dizaines de millions de gens perdront alors leur couverture santé). Mais quoi qu’il arrive sur le plan de la législature, de gros problèmes sont en cours au sein des marchés de l’assurance à l’heure où nous parlons : des entreprises décident de sortir du marché, laissant certaines parties du pays sans aucune possibilité, ou demandent de fortes augmentations des premiums. Pourquoi ? Contrairement à ce que disent les républicains, ce n’est pas parce que l’Obamcare est un système impossible à faire fonctionner ; les marchés de l’assurance étaient clairement en train de se stabiliser à l’automne dernier. A la place, ainsi que les assureurs eux-mêmes l’expliquent, le problème c’est l’incertitude créée par Trump et consorts, notamment leur échec à apporter de la lumière sur le maintien ou non de subventions cruciales. Par exemple, en Caroline du Nord, la compagnie Blue Cross Blue Shield a déposé une demande pour une augmentation de 23 pourcent des premiums, mais a déclaré qu’elle n’aurait demandé que 9 pourcent si elle était certaine que les subventions de partage des frais étaient maintenues. Pourquoi n’a-t-elle pas obtenu cette assurance ? Est-ce parce que Trump croit en ses propres allégations selon lesquelles il peut faire s’effondrer l’Obamacare, et ensuite faire en sorte que les électeurs s’en prennent aux démocrates ? Ou bien est-ce parce qu’il est trop occupé à écrire ses tweets pleins de rage et à jouer au golf pour traiter ce problème ? C’est difficile à dire mais quoi qu’il en soit, on ne fait pas de la politique de cette façon. Ou prenons la décision remarquable de prendre le parti de l’Arabie Saoudite dans sa querelle avec le Qatar, une petite nation qui abrite une gigantesque base de l’armée américaine. Il n’y a pas de gentils dans cette querelle, mais toutes les raisons du monde pour que les Etats-Unis ne se positionnent pas au milieu. Ignorance ? Qu’est-ce que Trump faisait, donc ? Rien ne laisse à penser qu’il a une vision stratégique ; certaines sources suggèrent qu’il pourrait même ne pas avoir connu l’existence de la grosse base américaine au Qatar et son rôle prépondérant. Les explications les plus plausibles de ses actions, qui ont provoqué une crise dans la région (et poussé le Qatar dans les bras de l’Iran) c’est que les Saoudiens l’ont flatté – le Ritz-Carlton Riyadh a projeté une image de son visage sur cinq étages sur le côté de sa propriété – et leurs lobbyistes ont dépensé des sommes folles à l’hôtel Trump Washington. Normalement l’on dirait que c’est ridicule de suggérer l’idée qu’un président américain puisse être aussi ignorant de sujets cruciaux, et être amené à prendre des décisions dangereuses en termes de politique étrangère avec des motivations aussi grossières. Mais peut-on penser cela à propos d’un homme qui ne peut accepter la vérité sur le nombre de gens présents à sa cérémonie d’investiture, qui se vante de sa victoire aux élections dans les circonstances les moins opportunes ? Oui. Et étudions son refus de soutenir le principe central de l’OTAN, l’obligation de prendre la défense de nos alliés - un refus qui a été un choc et une surprise même pour son équipe de politique étrangère. Comment l’expliquer ? Personne ne le sait, mais ça vaut la peine de prendre en compte le fait que Trump apparemment a geint auprès des dirigeants européens sur la difficulté d’installer des parcours de golf dans leurs pays. Peut-être n’était-ce que de la mauvaise humeur, pure et simple. Une nouvelle fois, ce qu’il faut retenir c’est que tout laisse à penser que Trump n’a ni la capacité d’être président ni la volonté de se retirer et de laisser les autres faire ce qu’il faut. Et cela commence déjà à avoir de véritables conséquences, d’une couverture santé entravée jusqu’à des alliances détruites en passant pas une crédibilité perdue sur la scène mondiale. Mais, vous vous dites que les marchés boursiers sont en hausse, à quel point la situation peut-elle être mauvaise ? Et c’est vrai que pendant que Wall Street a perdu un peu de son enthousiasme de départ pour la Trumponomie – le dollar est redescendu à son niveau pré élection – les investisseurs et les entreprises ne donnent pas l’impression de fixer leur prix avec le risque d’une politique réellement désastreuse. Pourtant le risque est plus que réel – et l’on se doute que les grosses corporations pleines d’argent, qui ont tendance à assimiler la richesse et la vertu, seront les dernières à se rendre compte à quel point le risque est haut. La présidence américaine est, à beaucoup d’égards, une sorte de monarchie élue, dans laquelle un dirigeant qui n’a ni les qualifications en termes de personnalité ni sur le plan intellectuel peut faire des dommages immenses. Voilà ce qui se passe aujourd’hui. Et nous en sommes à peine à un dixième du premier mandat de Trump. A n’en pas douter, le pire reste à venir.
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